Le festival du documentaire DOCAVIV fête ses dix ans et il a toutes sortes de films à voir à la cinémathèque de Tel-Aviv. C’est LE rendez-vous du documentaire, il y a tout le monde, les meilleurs films à venir dans l’année, les films internationaux de l’année passée, des rétrospectives. Il y a trois ans, c’est le film D’une langue à l’autre, de Nurith Aviv qui a gagné la compétition israélienne, un film magnifique sur l’exil linguistique, la perte de la langue natale pour l’hébreu, le déchirement que cela provoque, pourquoi, comment, pour qui…
A la soirée d’ouverture de cette année, dans la somptueuse salle de l’opéra de la ville, un comique israélien connu fait le Monsieur Loyal et aligne les blagues : il paraît que le documentaire israélien se porte bien… forcément qu’il se porte bien, vu l’état du pays (rires)… tant qu’il y aura la guerre ici, on aura de quoi faire (rires)… on est tous pour la paix, mais bon, il paraît qu’on a tort… vous imaginez un pareil essor pour le documentaire suisse ? qui aurait pensé à faire un documentaire qui s’appellerait Zurich Zurich (référence au film Jenin Jenin de Mohammad Bakri) encore des rires.
Je fais une grimace, j’ai l’impression de ne pas avoir compris, je demande à Nadav de me confirmer que ce n’est pas mon hébreu approximatif qui me joue des tours. Non, non, c’était bien ça : une blague sur l’occupation.
Il faudrait pouvoir rire de tout. Surtout de la Shoah, surtout du conflit, surtout de la bombe atomique iranienne.
Je n’y arrive pas encore, moi.
Evidemment, même aux pays de l’humour noir, il ne faut pas faire n’importe quelle blague à n’importe quel moment. George W. Bush en visite en Palestine a tenté une blague à Ramallah, disant que sa voiture et ses quarante véhicules de sécurité n’ont pas pris plus de dix minutes à traverser le grand nombre de check-points sur la route de la ville, et qu’il ne comprenait pas quel était les problèmes de circulation dont on parle tellement à propos du peuple palestinien. Pas drôle.
A cette occasion, un journaliste avait remarqué qu’il est de mauvais goût de rire de la corde dans la maison du pendu.
C’est peut-être ça, tant qu’on plaisante, on est aussi la victime, dès qu’on avoue que la corde existe on se place du côté de ceux qui la tendent.
Tant qu’on peut rire, on est en dehors, loin loin loin, dans la distance.
Etre sérieux est donc souvent considéré comme petit-bourgeois.
Cette fille déguisée en Anne Franck pour Purim, ces « figures » des nuits telaviviennes qui paradent en kaffieh un soir puis se déguisent en colon, en rockabilly ou en soldat. Tout devrait pouvoir être un jeu.
Une de ces figures de Tel-Aviv avait ainsi invité le ministre de la culture jordanien à une « conférence » dans un restaurant branché de Tel-Aviv. Il avait convié ses copains et ses copines à se joindre à eux et ils avaient ainsi eu une réunion absurde, où ils avaient parlé de sujet fondamentaux comme les boîtes de nuit, le cinéma sans caméra et les films sans acteurs… Avec le vrai ministre (la bonne soixantaine, en costume et cravate, encadré de deux garde du corps impressionnants) qui semblait totalement hirsute au milieu de ce groupe de dix jeunes tout de court vêtus qui racontaient leur quotidien nocturne.
Une délégation du même genre avait ainsi tenté d’entrer dans l’ambassade syrienne en Allemagne pour des pourparlers pacifistes.
L’un des membres de la délégation, Nimrod Kamer s’était fait connaître après avoir été arrêté par les services de sécurité: il avait tracé des flèches au sol pour désigner le chemin le plus court pour arriver à la maison de Netanyahu. Une bonne blague qui aurait pu mal tourner… les services de sécurité n’étaient pas du tout du tout contents.