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Billet de blog 9 décembre 2008

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Weil en Israël

Mon ami Paul est venu nous rendre visite. C’est drôle, Paul fait partie de ces gens dont je ne m’étais jamais douté qu’ils étaient Juifs. C’est idiot, je sais… après tout il s’appelle Weil. Je ne sais pas, peut-être est-ce parce que je n’ai pas grandi dans une « communauté », mais je n’ai jamais eu le réflexe de rattacher le nom à la religion. Oui, Cohen c’est Juif. Mais quand c’est hors contexte, j’oublie de faire le lien…

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Mon ami Paul est venu nous rendre visite. C’est drôle, Paul fait partie de ces gens dont je ne m’étais jamais douté qu’ils étaient Juifs. C’est idiot, je sais… après tout il s’appelle Weil. Je ne sais pas, peut-être est-ce parce que je n’ai pas grandi dans une « communauté », mais je n’ai jamais eu le réflexe de rattacher le nom à la religion. Oui, Cohen c’est Juif. Mais quand c’est hors contexte, j’oublie de faire le lien…

Par exemple : Paul relisait Tristes Tropiques et, s’émerveillant de la modernité du livre, il parlait de l’auteur, du parcours de ce dernier… Paul s’est moqué de moi quand j’ai avoué avoir oublié que Lévi-Strauss était Juif… Mais alors, les jeans aussi ?

Il avait un peu peur de venir en Israël, Paul. Peur de quoi ? Je lui demande, il ne sait pas. Mais il me fait promettre que je resterais avec lui, que je l’accompagnerais. Ben oui, bien sûr… Vraiment ? Vraiment.

Jeudi dernier, en attendant d’aller le chercher à l’aéroport j’étais chez moi en train de suivre sur internet l’expulsion des colons de la Maison du Conflit à Hébron quand le téléphone sonne.

Mme Kaplan ? Elle-même… Bonjour, Anat agente de la sécurité à Paris… Oui, c’est pour quoi ? Vous êtes seule chez vous ? Oui… Vous attendez quelqu’un ? Non… Vous n’attendez personne ? Non, non. Vous n’attendez pas de visiteur ? Non, je suis seule… (franchement, à ce stade, j’imagine que quelqu’un a planté un bombe à Paris avec mon nom et mon adresse en Israël dessus et qu’un commando anti-terroriste va faire irruption dans mon salon… il faut dire que les images de l’évacuation dansaient devant mes yeux depuis une demie-heure) Toussotements de l’autre côté du téléphone : vous n’attendez pas un certain Paul Weil ? Ah, si, si, bien sûr, je croyais que vous demandiez si j’attendais quelqu’un maintenant, là tout de suite, olala ! désolée… Vous confirmez donc que vous attendez la visite d’un dénommé Paul Weil ? Oui, tout à fait, il arrive par avion ce soir à vingt heures. Comment savez-vous cela ? Il m’a envoyé un mail. Comment connaissez vous M. Weil ? Nous avons travaillé ensemble et sommes devenus amis. Depuis combien de temps connaissez-vous M. Weil ? Depuis cinq ans. Quel est le nom de sa compagnie ? Je sais plus. Quel est le nom de la compagnie pour laquelle vous avez travaillé ensemble ? Mais je ne sais plus… ! Mme Kaplan, réfléchissez, on est obligé de prendre nos précautions, à Elal…

L’angoisse monte : et s’ils ne le laissent pas embarquer ? je trouve la parade : vous savez, madame… il est Juif !

Ben je m’en doute bien avec un nom pareil… l’agente de sécurité soupire : ça fait cinq fois que je lui pose la question et qu’il ne répond pas ! Mais bon, si vous me dites qu’il est Juif, vous… vous savez si c’est par son père ou par sa mère ? Et s’il est Juif, pourquoi il refuse d’en parler, alors… ?

Ils ont fini par le laisser embarquer. Comme promis à Paul et à l’agente de sécurité, je vais le chercher à l’aéroport. Il rit jaune quand je lui demande des explications sur son embarquement : en effet, il a refusé de répondre à LA question… Il continue de hausser les épaules : ça les regarde pas. Je le reconnais bien là, mon ami : il préfère se laisser pourrir la vie par Elal plutôt que de céder à la facilité de la discrimination, même quand elle est à son avantage ! N’empêche, malgré ses bravades, il est un peu choqué. Elle est entrée dans sa boîte email pour s’assurer qu’il y avait bien une correspondance entre lui et moi par rapport à son voyage en terre sainte, il a dû lui montrer des sms que je lui avais envoyé, parler de notre rencontre, de notre travail ensemble, des raisons pour lesquelles j’avais emménagé en Israël, de Nadav donc, de nos métiers respectifs… Il répète plusieurs fois, comme s’il n’y croyait pas : mais enfin… ça me regarde ! qu’est ce que ça peut lui faire !

Allez, on se tire, viens : on va à Tel-Aviv où personne ne te demandera si oui ou non tu observes le shabbat !

Je n’ai jamais subit l’antisémitisme en France. Jamais. Des commentaires plus ou moins louches à cause de mon nom (c’est pas Français, dites-moi…) oui, mais personne ne m’a jamais reproché de m’appeler Kaplan… probablement parce que c’était un peu perdu entre le prénom bizarre et le nom exotique. Mais Paul me raconte des anecdotes pas marrantes pendant qu’on fait la tournée des bars de la ville qui ne dort jamais, comme si d’être ici lui donnait la liberté de penser son nom qu’un des gamins de la classe avait décrété être un patronyme « youpin »… Après quoi il était allé voir son père : dis, papa, c’est quoi youpin ? et c’était vu expliquer la Shoah, les Juifs… oui, dans cet ordre, il souligne avec son humour habituel.

C’est drôle, après une journée de promenade dans la ville, Paul me dit presque mot pour mot une phrase que j’ai moi-même dite à Nadav et que j’ai déjà entendue de ma mère lors de sa première visite : dis donc, j’ai une impression bizarre… en fait tout le monde ici est Juif ?

Je connais ça… Ça fait tourner la tête, la première fois qu’on en prend conscience : la minorité a été remplacée par la majorité… Paul, un peu gêné de sa question, se détend quand je lui dit comprendre l’effet d’étrangeté difficile à mettre en mot. Il s’arrête sur le boulevard Rothchild. Lui ? et lui ? Elle ? et elle aussi ?

Tous Juifs ?

Et…

Ça veut dire quoi, au fond ?

Sur les recommandations de Nadav, on va dîner à Jaffa, la ville arabe dans Tel-Aviv… histoire de se rappeler qu’on est au Moyen-Orient, et pas qu’au pays des Juifs.

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