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Billet de blog 13 février 2009

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un dîner à Jaffa

Cette fois, c’est nous qu’y sommes allés dîner chez eux. Eliza et Daoud nous ont invité avec Moussa et Hasma, le couple d’amis qu’on s’était rendu compte qu’on avait en commun.

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Cette fois, c’est nous qu’y sommes allés dîner chez eux. Eliza et Daoud nous ont invité avec Moussa et Hasma, le couple d’amis qu’on s’était rendu compte qu’on avait en commun.

Eliza et Daoud habitent loin loin à l’intérieur de la ville de Jaffa… pas comme nos amis Juifs qui vivent dans les immeubles sur le seuil, juste entre la limite des deux villes qui ne font qu’une, la Juive et l’Arabe, Tel-Aviv et Jaffa. Pour arriver chez eux on traverse quelque chose qui ressemble presque à un village au milieu de la ville ; terrains vagues et petits commerces… tout : la musique, la langue, les brouhahas et l’odeur du tabac parfumé des chichas, tout nous rappelle soudain où l’on vit : au Moyen-Orient… et pas dans une ville européenne où il fait bizarrement toujours un peu trop chaud.

Moussa Zahalka, a joué dans un film de Nadav, Road, mais quand il ne trouve pas de travail comme comédien il travaille avec Daoud sur des chantiers. Hasma, c’est sa brillante femme Hasma Hakbaria Zahalka, à la tête du petit parti socialiste et mixte (arabe-juif) Daam qui s’était présenté aux élections faisant le score tout aussi honorable qu’inutile de trois mille et quelques voix… nous l’avions rencontré dans une réunion qu’une amie à nous, ardente partisane, avait organisée chez elle pour faire entendre les positions du petit parti avant les élections.

Nos hôtes s’activent aux fourneaux, Nadav et Moussa tombent dans les bras l’un de l’autre tandis que Hasma m’explique les résultats des dernières élections… Elle me surprend en me disant qu’avant le « Jour de la Terre » en 1976 (un vaste mouvement de protestation des Arabes-Israéliens contre la confiscation de plusieurs milliers de dounams de terres arabes en faveur de l’état d’Israël) beaucoup d’Arabes-Israéliens votaient pour les partis « sionistes », notamment le parti Travailliste… qui leur promettaient du travail ou des faveurs à l’échelle locale… Après les manifestations du Jour de la Terre et sa répression par Tsahal, beaucoup d’Arabes-Israéliens se sont tournés vers Hadash (le parti communiste, mixte) ou les partis strictement Arabes.

On se met à table. Très vite, on en arrive aux sujets politiques.

La dernière fois qu’on avait parlé politique avec Daoud, j’étais resté avec un sentiment de malaise, de questions mal résolues. J’aurais préféré ne pas me frotter à nouveau à son amertume. Peine perdue, bien évidemment, d’autant que Hasma est très remontée contre ce qui se passe avec les tractations électorales en cours.

On en arrive très vite à la question Lieberman… et là, Daoud en arrive à justifier le patron de IsraelBaitenu. Il nous explique que pour lui, en tant qu’Arabe, il sera toujours « naturel » de se sentir plus proche d’un Syrien ou d’un Libanais que d’un Israélien...

J’ai envie de lui demander : même si ta mère est Juive (la mère de Daoud est fille de rescapés de la Shoah) mais il ne la voit plus, c’est un sujet très tabou, il ignore tout à fait ce côté-là de ses origines, alors…

Alors il continue : un Arabe a plus en commun avec un autre Arabe et c’est tout.

Hasma, d’humeur rigolarde, lui dit qu’alors Lieberman a raison… tu ne mérites pas d’être israélien ! chacun chez soi… et (elle fait des petits ronds avec ses mains) tout le monde dans des petites cases…

Et qu’est ce que tu dis de mon fils, alors (la première femme de Moussa était Juive) ?

C’est à lui de choisir… C’est les Juifs qui nous disent tout le temps qu’on est en guerre, il faut les prendre au mot, choisir son camp.

Et un Juif-Maroccain ? demande Eliza

Pas pareil…

Quoi, c’est une question de sang, alors ? le sang Juif ou le sang Arabe ? Ça me fait froid dans le dos, ça… Je lui dis : la terre, le sang, c’est toujours le prélude à la catastrophe.

Tout ce que je sais, c’est que je ne peux rien dire contre le Hamas, même si parfois ils font des bêtises… ils sont plus proches de moi que quoi que ce soit ici.

Hamas contre IsraelBeitenu, on ne va pas aller loin.

Heureusement, Moussa dit à Daoud tout ce que je pense… je n’avais pas le courage de plonger dans un long débat, forcément morne.

Daoud écoute avec un sourire ironique : pff… toi, de toute façon, tu passe ton temps à te rendre à l’ennemi… Daoud lève les bras, agite les mains en l’air pour se moquer de son ami : je suis avec vous ! je le jure !

Pourquoi tu dis ça ? Je suis Palestinien plus qu’Arabe, moi, c’est tout.

Moi aussi, je suis d’abord Palestinien, mais en attendant que les sionistes me rendent mon pays, je suis Arabe aussi… je ne veux pas n’être qu’un apatride, c'est important les racines.

Rien à faire de la terre, moi… je suis d’ici.

Lui aussi il a dit ça. Daoud pointe Nadav du doigt.

Parce que lui aussi il est d’ici maintenant, dit Moussa, qu’est ce qu’on peut faire ?

La question reste en suspend.

Eliza répète : qu’est ce qu’on peut faire ?

Je leur raconte une interview que j’ai lu de Marjane Satrapi, où elle expliquait que pour elle, la question n’était pas une abstraite guerre entre l’Orient et l’Occident, entre la démocratie et le fanatisme… que la seule vraie guerre était contre les CONS… et que c’était pour ça, pour se combat là qu’il fallait s’unir : la lutte contre la connerie.

Ça fait rire Hasma et Eliza.

Les hommes sortent fumer. Eliza nous dit que parfois elle a l’impression que Daoud est juste trop triste, qu’elle ne sait pas quoi faire avec toute sa tristesse…

Sans transition, elle nous raconte qu’il y a trois mois de cela, leur chienne qu’ils avaient ramenée d’Italie a ouvert elle-même la porte fenêtre et s’est jeté dans le vide. Elle est morte sur le coup.

Plus tard, je raconte à Nadav l'histoire de la chienne suicidée. Je lui dis, et je ne sais pas trop quoi dire d'autre: j'aimerais le comprendre, Daoud... pas juste comprendre d'où il vient, psychologiser sa peine, l'analyser... mais vraiment avoir une compréhension active de ce qui fait de lui qui il est.

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