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Billet de blog 14 mars 2009

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C'est quoi, résister?

Parmi les bouleversements des derniers mois, le plus grand a peut-être été la remise en cause de ce que je pensais être la loi.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Parmi les bouleversements des derniers mois, le plus grand a peut-être été la remise en cause de ce que je pensais être la loi.

Petite, je me rêvais avocate… je trouvais ça formidable, l’idée de défendre les opprimés avec cet outil incroyable qui fait que nous sommes tous égaux.

J’ai mis très longtemps à me rendre compte que la pratique de la loi est quelque chose de sinueux. En anglais il y a l’expression : to bend the law, tordre la loi.

J’ai mis très longtemps, parce que je me refusais à me rendre au discours d’en face, ou aux échos qui m’en arrivaient : pfff… tous pourris… pfff… y’a pas d’justice… pfff… corruption partout…

Il y a quelques jours de ça, j’ai passé un moment d’horreur à écouter des récits de l’opération de Gaza du point de vue d’un caméraman de réserve dans l’unité vidéo de Tsahal. Nous étions dans un bar bruyant. Il parlait très fort, racontait des choses terrifiantes d’une manière obscène, en riant beaucoup sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche- une sorte de rire mimé, une grimace en forme de rire.

Et toujours, il revenait au même point : tel soldat avait tiré sur un civil mais il avait été jugé ensuite… tel autre avait commis une erreur à la suite de laquelle il y avait d’ailleurs eu un procès. Il était fier du fait que certaines des images qu’il avait filmées aient pu servir comme témoignage dans lesdits procès.

Je crois qu’il insistait là-dessus pour répondre à ma sidération devant l’horreur de ses récits.

Ça m’a échappé, j’ai dit quelque chose comme : mais comment ils dorment, ces gens.

Quels gens ?

Ben, les soldats, toi… vous tous ; comment vous dormez ?

On ne fait rien d’illégal, tu sais.

Je crois que comprends… Le procès, c’est l’absolution. La loi vient ici décortiquer l’acte d’horreur, le mettre en pièce pour pouvoir le reconstruire en quelque chose de digeste, de compréhensible. Quelque chose qu’on peut dépasser, avec lequel on peut vivre.

L’Etat doit bien ça à ses serviteurs : la possibilité de survivre aux actes de barbarie perpétrés en son nom.

Je me souviens de l’histoire d’un vieux commandant de l’armée qui avait demandé, des années et des années après les faits, à être jugé pour des actes d’humiliation qu’il avait fait subir à un homme arabe lors d’une opération punitive. L’armée ne comprenait pas sa demande, n’avait pas su y répondre.

Nous avons une armée formidable, reprend le caméraman, et c’est pour ça qu’on gagnera, c’est nous les justes.

C’est l’une des choses qui revient, souvent : Tsahal est l’armée la plus juste au monde. Forcément, puisqu’elle est composée de ton fils, son oncle, leur père… manquerait plus qu’ils soient tous des salauds.

Mais…

Autant la justice d’un Etat absout presque automatiquement les actes criminels commis en son nom, autant elle est impitoyable envers chaque mot tendant vers une quelconque remise en cause de ce même Etat.

Je pense à Julien Coupat, là... et aux inculpés de l'affaire Tarnac.

Terroriste ! En Israël, on est tous d’accord que c’est la pire chose, le mal absolu, le danger qui nous guette, la mort, quoi…

Tout le monde est d’accord pour se battre contre les terroristes. Pour qu’on puisse continuer à vivre.

Mais sans terrorisme Juif il n’y aurait pas eu l’état Juif.

Un terroriste, qu’est ce que c’est ?

Menachem Begin (qui sera ensuite le premier ministre d’Israël et l’artisan de la paix avec l’Egypte, entre autre) en 1946, a commandité l’attentat à l’hôtel King David de Jérusalem (alors le quartier général britannique), qui a fait 91 morts.

Les étudiants Américains protestant contre la guerre au Vietnam expliquaient aux policiers venus les déloger des salles de cours occupées : c’est nous les vrais patriotes !

Les membres du groupe Courage de Refuser qui refusent de servir Tsahal tant que c'est une armée occupante, se disent plus sionistes que tout les ministres du gouvernement de Olmert réunis.

En attaquant les Français corrompus, c’est la France que je défends, écrit Henri Alleg au début de la Question.

Et les membres de la Rose Blanche, résistants allemands de la première heure qui dénoncent la dangereuse passivité de leurs concitoyens dans des tracts enflammés.

Et Adolfo Kaminsky qui fait des faux papiers pour des vraies résistances.

On ne peut pas faire dire aux mots tout et n’importe quoi.

Mais force est de constater que ce qu’on nous donne comme « terrorisme » est aussi parfois une manière de dire NON ou PAS COMME ÇA ou PAS EN MON NOM ou JE PARTICIPE ou JE PRENDS PARTI ou JE M’ENGAGE ou J’AGIS.

Avidgor Feldman, avocat entre autres de Mordechai Vanunu (qui a passé 19 ans en prison pour haute trahison après avoir donné à un journal anglais les plans de la centrale atomique israélienne de Dimona) lit toujours un passage du Procès de Kafka avant ses plaidoiries, pour rapeller l'écart entre la définition qu'englobe le mot Justice, et l'activité qui se déroule entre les murs des tribunaux.

Mais alors, quoi ?

Une fois encaissé le tremblement de terre, la secousse fondamentale qu’est cette découverte qu’il n’y a pas de justice « absolue »… que faire ?

ou plutôt, comment faire ?

C’est tout à fait terrifiant : on ne peut se reposer sur rien.

S’il n’y a pas de LOI en majuscule, alors la LOI, la vraie, est constamment à repenser, à pétrir, à faire, à imaginer, à inventer…

Ce qui ne veut pas dire que chacun fait SA loi, non. Du tout, même.

Cela veut dire qu’il faut constamment surveiller ce qui se passe autour de soi, vérifier si l’on est d’accord, penser pourquoi…

Et surtout, puisque « nul n’est censé ignorer la loi », il est impossible de rester passif, inactif, en retrait.

On est obligé de répondre au monde dans lequel on vit, à sa pluralité, à sa complexité.

On est obligé de répondre du monde, tout le temps.

On doit choisir son camp. On doit prendre parti, on doit dire OUI ou NON. On n’a pas le droit de dire BOF ni de se dégonfler comme une baudruche, pffff…

On est responsable.

En fait, c’est assez grisant : tout reste à faire. Et tout restera toujours à faire.

j'ai beaucoup de travail tu as beaucoup de travail nous avons beaucoup de travail

MOUVEMENT !

J’en ai la tête qui tourne.

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