Etre dans un pays étranger, ça crée des liens. Et souvent, les liens crées ont des détours improbables. Par exemple à mes débuts dans la ville, quand je pensais encore qu’une bonne baguette c’est pas sorcier doit bien avoir une boulangerie ici qui sait faire ça… j’ai rencontré beaucoup de Français installés ici, eux aussi à la recherche d’une baguette ou d’un croissant. On donne des notes, on compare, on se plaint un peu bien sûr… Une autre fois, dans un café, le serveur a mis La Javanaise. J’ai été émue aux larmes. C’est une chanson magnifique, qui me fait toujours de l’effet, mais là, loin comme ça, c’était d’autant plus beau.
C’est encore un pays d’immigrants. Qui se divisent en deux catégories : ceux qui veulent oublier et faire oublier d’où ils viennent, s’intégrer à tout prix. Et ceux qui restent entre eux, ne s’aventurent pas trop hors des limites imaginaires de leurs clan, soit parce qu’il ne veulent pas, soit parce qu’ils ne peuvent pas.
L’ulpan, les cours d’hébreu pour les immigrants et les autres (touristes, travailleurs étrangers, curieux…) est le lieu de toutes les rencontres. On voit par exemple ceux qui évitent soigneusement de rencontrer d’autres « comme eux ». Tamar, une nouvelle immigrante argentine, refuse de parler espagnol avec Gloria, sa voisine colombienne. Deux cours plus tard, elle perd pied, et revient à sa langue maternelle pour poser une question sur un exercice de grammaire. Tamar fait beaucoup d’efforts, parle bien, avec beaucoup d’argot, semble très à l’aise dans la langue. Elle travaille dans un cabinet d’architecte pas loin de chez moi. Un jour, on se croise au supermarché et elle me raconte une mésaventure amoureuse avec un jeune Israélien. Après trois rendez-vous, il a cessé de répondre à ses appels. Elle ne comprend pas, et elle répète, nerveuse : peut-être j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas… peut-être que je ne parle pas encore assez bien pour avoir une histoire d’amour ?
Les Français ont mauvaise réputation. Il paraît qu’on se plaint trop, qu’on est trop flambeur, qu’on refuse de s’intégrer, qu’on est snob. Et on nous reconnaît à des kilomètres avec notre accent qui hache les mots.
Mais bon, une fois la porte ouverte aux clichés, c’est infini…
Beaucoup d’humoristes font leur beurre de sketches plus ou moins racistes. C’est si facile de se moquer des travers des autres. Et puis, les autres, ici il y a le choix. Et tous les autres, tant qu’ils le peuvent, râlent sur les Israéliens, leur impolitesse, leur franchise, leur rudesse… infini, je vous dis.
C’était toujours comme ça. Au début, c’était les Juifs Allemands, les « yeke », qui étant souvent plus riches et les plus cultivés s’enfermaient dans leurs beaux quartiers, créaient une distance avec les autres, les Polonais ou les Hongrois par exemple. Et puis après, quand les Juifs d’Afrique du Nord sont venus ils ont été ostracisés. Il y a même eu un mouvement « les Panthères Noires » qui s’est inspiré des Black Panthers pour demander une égalité de fait entre les « blancs » ashkénazes et les « noirs » mizrahi.
Les années et l’apprentissage de la langue ont fait le reste, mais de lourdes séquelles demeurent. L’ascenseur social est bloqué pour beaucoup de Mizrahim. Et je ne parle pas des Ethiopiens, des Yéménites…
Ni même des Arabes-Israéliens…
Dans le documentaire de Claude Lanzmann « Pourquoi Israël » on voit une longue interview avec les Panthères Noires. Ils disent : nous voulons juste être intégrés, avoir les mêmes droits et nous emploierons la force si nécessaire.
Des mauvaises langues disent que la guerre permanente contre les ennemis autours est bien commode pour éviter de penser aux troubles sociaux internes aux pays.
Une belle anecdote : La tombe de l’un des pères fondateurs du renouveau de la langue hébraïque a été vandalisée. Des jeunes ont écrit dessus des choses atroces. Sa veuve donne un entretien où elle affirme : je ne suis pas triste, il a gagné… puisque les graffitis étaient tous écrits en Hébreu.