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Billet de blog 16 mai 2009

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Isratine, Palestël

Une des choses intéressantes quand on n’est pas au cœur des choses c’est comment d’un coup le centre se déplace ; la distance donnant aux événements une autre hiérarchie. Quand on habite Tel-Aviv, ça fait frontière.

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Une des choses intéressantes quand on n’est pas au cœur des choses c’est comment d’un coup le centre se déplace ; la distance donnant aux événements une autre hiérarchie. Quand on habite Tel-Aviv, ça fait frontière.

J’imagine que c’est comme ça partout : on se délimite plus ou moins consciemment des centres d’intérêts politiques ou citoyens et on pense à partir de ceux-ci, en y incluant un peu d’autres parfois, ou pas.

Hier, depuis Paris, donc, j’ai lu ça : http://www.haaretz.com/hasen/spages/1085622.html

Un article de Amira Hass sur Gaza ruinée, les tas de gravas, les piles de matière informe qui s’entassent un peu partout et que les autorités recommandent de ne pas toucher, parce que c’est trop dangereux… mais aussi parce que, comme Israël refuse de laisser passer du matériel de construction alors de toute façon on ne sait pas quand on pourra rebâtir… plus loin, retour sur la guerre, les bombardements et « la ruine de nos âmes » dont parle un habitant qui souligne la surprise des habitants devant la destruction de tant de maisons, un fait nouveau par rapport aux autres attaques. J’ai aussi vu un entrefilet qui indiquait que l’auteure de l’article avait été arrêtée par l’armée israélienne à sa sortie de Gaza et libérée après avoir promis qu’elle n’essayerait pas d’y entrer à nouveau dans les trente prochains jours (aucun Israélien n’a le droit d’entrer à Gaza, journaliste ou non.)

En habitant Israël, j’ai toujours imaginé que j’incluais les territoires occupés et Gaza et la Palestine en tant que pays concret, dans l’espace mental à partir duquel je pensais ma vie là-bas. C’était une décision pas un automatisme. Un effort.

La ville de Tel-Aviv, par sa frénésie, invite à l’autisme hédoniste, à l’insouciance molle.

Il y eu plus d’un moment où, alors que je n’arrivais pas à lire le Twilight Zone de Gideon Levy (ses chroniques hebdomadaires de l’occupation) en m’arrêtant sur chaque mot, un débat animé sur le traitement des eaux entre le Nord et le Sud de la ville envahissait ma lecture du journal du week-end. Et des fois il me manquait la force de regarder sur une carte chaque nom de village palestiniens cités dans le journal. Des fois je distinguais entre mon désir de comprendre Israël et la nécessité qui en découle de comprendre la situation, toute la situation.

De temps en temps je recevais de plein fouet la violente proximité entre les choses. Notamment pendant l'attaque israélienne sur Gaza, les avions survolaient ma maison avant d’aller plein Sud. Là, pas d’effort conscient à faire, le bruit était là : le vrombissement assourdissant pouvait basculer dans l’explosion avec un effort minime d’imagination.

Mais force est de constater que les deux étaient séparés.

Je m’en rends compte depuis ici. La distance, l’éloignement, donne à voir le pays, TOUT le pays ; Isratine, Palestël… comme disait mon ami Dror.

Le mélange se fait sans effort. Le mélange est là de fait.

Gaza, on y est. Ce n’est pas quelque chose qu’on lit aussi.

C’est le même monde que cet article sur la requête provoc’ du parti de Lieberman d’interdire la commémoration de la Nakbah aux Palestiniens-Israéliens, pour « renforcer l’unité nationale et empêcher que le jour de l’indépendance soit un jour de deuil »: http://www.haaretz.com/hasen/spages/1085588.html … ça se lit dans le même mouvement.

Palestiniens, Arabes-Israéliens, Palestiniens-Israéliens, Israéliens. A penser ensemble. Petit pays. Deux petits pays ? un petit pays, de fait. C’est ça que cette nouvelle lecture donne. Il ne s’agit pas de créer du lien, il s’agit de démêler (ou non, d’ailleurs) les fils tendus qui tissent les frontières internes et externes à ce territoire pluri-national.

Il est tout à fait banal de dire que la distance permet une meilleure perception des choses. Et d’ailleurs, ici, je ne sais pas ce que ce serait « meilleure ». Ce que Nadav lit ce weekend au café à l’angle de la rue Ben Gurion n’est pas moins juste que ma lecture faite depuis ici. Mais c’est ici que j’ai enfin saisi dans son ensemble la géographie du lieu où j’ai passé les derniers mois. Peut-être que l’enthousiasme de comprendre TOUT du nouveau lieu dans lequel je me trouvais aveuglait ma perception. Peut-être aussi que, depuis Israël, on censure la porosité entre les mondes pour renforcer l’illusion qu’il y a un pays unique Israël et, à côté, un problème Palestinien. L’interdiction aux Israéliens d’aller à Gaza, les difficultés éprouvées par les internationaux qui traversent les frontières à répétitions, tout ça apparaît alors comme ce que c’est : détournements, diversions. D’un coup, d’ici, la question binationale n’est plus juste une théorie politique avec laquelle on peut avoir plus ou moins d’affinité. C’est là de fait, c’est à partir de là qu’il faut penser.

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