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Billet de blog 20 mars 2009

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Prise de risques

Supplément d’horreur avec le journal du week-end. Des soldats de Tsahal ayant participé à l’opération Plomb Durci racontent des « erreurs », des « mauvaises décisions », des « dommages » qu’ils disent collatéraux, des meurtres qu’eux-mêmes ne peuvent que voir que comme « de sang froid ».

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Supplément d’horreur avec le journal du week-end. Des soldats de Tsahal ayant participé à l’opération Plomb Durci racontent des « erreurs », des « mauvaises décisions », des « dommages » qu’ils disent collatéraux, des meurtres qu’eux-mêmes ne peuvent que voir que comme « de sang froid ».

Ils racontent. Une dame âgée, une mère et ses deux enfants.

Les graffitis injurieux sur les murs.

Les ordures laissées derrière.

Ces témoignages ont d’abord étés publié dans la revue Brisa, interne à l’armée. Il semblerait que l’armée n’a pas été trop regardante quant à la publication de ces témoignages jusqu’à ce qu’ils arrivent en une de Haaretz. Une campagne de diffamation a été lancée contre l’officier Zamir initiateur de la rencontre avec les soldats pour les encourager à discuter de leur expérience à Gaza. Zamir était déjà connu pour ses tendances « gauchistes » (il avait refusé de servir dans les territoires). A la suite de la publication dans le quotidien national, une enquête de police à été lancée contre les soldats ayant participé aux dérapages.

Dans leurs témoignages, plusieurs soldats reviennent sur la présence des rabbins de l’armée ou des discours d’officiers religieux avant l’attaque. Quelques uns disaient avoir du mal à comprendre pourquoi on leur parlait de guerre sainte : « on aurait pu remplir une chambre entière avec les livret de psaumes qu’ils nous amenaient ».

Plus loin, toujours dans le supplémentaire week-end, une photo de quatre mecs baraqués qui nous montrent leurs nuques, rasées de près. Ils portent des T-shirts avec des inscriptions en Hébreu, et des dessins. Une femme enceinte en burka : 1 coup, deux cibles. Un enfant en salopette armé d’un rifle entouré d’un rond, comme vu à travers la lunette d’un sniper : Plus petit Plus difficile. Une mosquée qui brûle : Dieu Seul Pardonne. Un samouraï qui brandit un sabre : On ne part pas avant Confirmation (en référence à une pratique –interdite à Tsahal- où le soldat tire une balle à bout portant dans la tête de sa cible, pour confirmer sa mort). C’est un article sur une pratique à la mode : à la fin de leur cours d’élite, des unités de soldats se font faire des T-shirts avec le blason de leur unité frappés d’un slogan « personnalisé » et surmonté d’un dessin. Un enfant entouré d’une cible : Ne cours pas tu mourras fatigué. Un soldat en train de violer une fille et au-dessus : Pas de vierges, Pas de terroristes.

Un peu plus loin il y a aussi un encart publiant les chiffres des morts Palestiniens pendant l’opération de Gaza. Il y a encore des contestations entre les chiffres du Hamas et ceux des officiels israéliens.

Le ministre de la Justice, Friedman, a proposé la nomination d’un comité judiciaire pour réfléchir au durcissement des conditions d’emprisonnement des prisonniers du Hamas, pour essayer d’égaler dans les geôles israéliennes le traitement supposé de Gilad Shalit à Gaza. Le ministère de la Justice espère ainsi faire pression sur le Hamas à travers les familles des prisonniers.Ses suggestions : leur retirer la télévision et les journaux, empêcher les visites de la Croix Rouge, pour commencer…

Le grand-père de Shalit prend position publiquement contre cette idée répugnante.

Demain, cela fera 1000 jours que Shalit est en captivité.

Je me débats avec ma nausée après lecture des journaux.

Pourquoi ? Tout ça, ce n’est pas nouveau. Non. On le sait, on le savait.

J’ai fini par demander au jeune pilote qui gare son scooter à côté de mon vélo et avec qui j’échange des bonjours bonsoirs polis s’il avait participé aux bombardements de Gaza.

Oui, il y a participé. Oui, c’est horrible. Oui, mais… on s’habitue, tu sais…

Il est pilote d’hélicoptère, il précise, il voit ses cibles beaucoup plus distinctement que les pilotes d’avions.

Je me demande qu’est ce que ça voudrait dire, s’habituer à ça.

Je meurs de trouille de m’habituer.

Un ami m’a demandé pourquoi je restais ici.

C’est vrai, au fond.

Tout les israéliens veulent partir d’Israël et moi je m’y enracine, je m’y enfonce.

J’ai répondu du tac au tac : Nadav, c’est pour lui que je suis venue, c’est pour lui que je reste.

Bien sûr que c’est lui.

Mais je sais aussi qu’il n’est pas le seul élément en jeu.

Quoi, alors ?

L’impression de pouvoir faire « quelque chose » ?

Peut-être. Mais quoi ?

Il suffit de dire « Israël » pour exciter les craintes de son entourage.

Mais le vrai danger est ailleurs.

Je cours le risque, en restant ici, de devenir la femme du soldat, la mère du soldat.

Je cours le risque de me taire, ne serait-ce qu’une fois,

quand ma dentiste explique à ma mâchoire anesthésiée que « tous des animaux ».

Je cours le risque de ne pas en faire assez.

Je cours le risque de me dire que j’en fait assez.

Je cours le risque d’aller me coucher.

Je cours le risque de désespérer.

Je cours le risque de relativiser de tempérer, de mesurer mon propos,

de me calmer en somme.

Je cours le risque de penser sur « le conflit » ou « la situation » comme ils disent ici, pendant des années et des années.

Penser n’est pas tout à fait faire, faudrait pas oublier.

Je cours le risque d'oublier ça, justement.

Je cours le risque de m’abandonner à faire la distinction entre la politique et le « reste »…

c’est quoi, le reste ? c’est tout ce qui ne donne pas envie de vomir.

Je cours le risque de m’immerger, de faire partie de cet endroit jusqu’à perdre la distance qui me permet de penser et de vivre depuis ici.

Je cours le risque d’en trouver une autre, de distance… une distance pour me protéger, une distance de désaveu, d’abandon.

Tout cela est bien plus concret que ce « quelque chose » putatif.

Faire « quelque chose ».

Comment faire, alors ?

Puisque je suis ici et que pour l’instant, on y reste ?

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