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Billet de blog 20 mai 2025

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Doutes et certitudes

Qu'est-ce que ça veut dire, maman, être juif ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai trois fils. Et parce que la mère de ma mère était juive, mes trois garçons sont juifs. L’un des grands a décidé récemment qu’il ne voulait plus manger de porc. Du tout. Plus de croque-monsieur (jambon), plus de carbonara (lardon), plus d’œufs au bacon. Ça a demandé une petite gymnastique logistique. C’est fou ce qu’on mange du porc, en fait, l’air de rien.

Zeev ne veut plus manger de porc parce qu’il veut se rapprocher de la religion, dit-il.

Et quand j’essaie de lui expliquer que le cochon n’a que trop peu à voir avec la judéité, il a l’air de tomber de sa chaise. Bah si, il m’explique : quand on est juif on mange pas de porc, c’est comme ça.

Je reviens aux fondamentaux : être juif ou juives c’est d’abord et avant tout un rapport à l’Autre, aux autres, opprimés en tête. Je parle du Tiqqun Olam, la réparation du monde qu’il nous incombe de prendre sur nous. C’est beaucoup plus intéressant que la composition de mon plat en sauce, non ? Et puis les interdits alimentaires qui datent des temps bibliques sont par essence gentiment dépassés.

Je tente un chantage aux sentiments : du coup il ne mangera plus ni de crevettes ni de cheeseburgers. Sa récente foi vacille : le coup du veau qu’il ne faut pas manger sous sa mère, c’est un peu compliqué, et les impénétrables lois de la cashrout très opaques.

Mais rien n’y fait. Le cochon c’est non.

Et je me dis qu’il va falloir creuser.

Bon, pas besoin d’être spéléologue : Zeev veut faire comme Mohamed qui depuis cette année est grand et a fait le Ramadan, provoquant l’admiration béate de ses camarades, Zeev en tête. Et le petit grand Zeev, seul juif de sa classe, a bien envie lui aussi d’avoir des interdits, des lignes de conduites, des choses à faire (ou pas) en lien avec des commandements suprêmes.

Je comprends. Moi aussi à son âge à peu près, j’avais été traversée par un désir impérieux de trouver des réponses et des questions à ces choses qui me taraudaient le corps et l’esprit et dont je ne savais trop que faire. J’avais été pour cela dans une synagogue. La première synagogue de France à accueillir des femmes rabbins. Une synagogue libérale qui questionnait tout du dogme religieux, ne prenait rien pour acquis, était en perpétuel chambardement. C’était très joyeux. Très sioniste aussi, on va pas se mentir. Les liens avec Israël étaient évidents, les profs étaient pour beaucoup des jeunes frais émoulus du service militaire, qui venaient commencer ou prolonger des études en France. Et partout il y avait des drapeaux israéliens, des références au pays où il faisait bon vivre, à sa gloire militaire, ses fruits, ses festivités nationales et/ou religieuses. Tout mélangé. C’est compliqué les juifs libéraux. Comme si le fait d’avoir pris des libertés avec le culte les rendaient encore plus poreux aux discours nationalistes.

J’ai pris conscience sur le tard de comment cela avait façonné mon imaginaire vis à vis d’Israël. Quand j’avais été vivre là-bas, à Tel-Aviv, je me souviens d’un sentiment de sidération à entendre des juifs et des juives critiquer l’incritiquable. Et puis, en habitant là-bas et parce que j’étais bien entourée, j’avais compris lentement mais sûrement, les mensonges petits et grands, les omissions, les petits arrangements avec le réel. Je suis tombée de haut. Boum.

Un souvenir parmi d’autres : en 2006, une manifestation (pacifique, puisqu’il faut préciser), des hommes et des femmes qui protestent contre une extension de colonie et qui sont réprimés dans les blessures, les cris et le sang par Tsahal, cette armée qu’on m’avait juré être différente. La sensation physique qui m’avait envahi. L’évidence du mensonge et le gouffre que cela avait creusé, durablement. Cette sensation a provoqué en moi des changements durables. Je m’étais senti trahie. Et le bouleversement a été tel que je n’ai plus jamais cru ensuite. Cela a été la porte d’entrée vers une critique plus générale, plus globale.   

Je mesure le chemin qu’il m’a fallu parcourir. Je mesure la chance que j’ai eu de pouvoir questionner la doxa.

Quand Israël a lancé ses opérations militaires à la suite du 7 octobre, j’avais déjà des outils et des mots pour savoir que ce n’était qu’un prolongement de ce qui se passait déjà. Il s’agit de : colonisation, meurtres ciblés, intimidation, terreur, enfermement. Mais aussi: faim, soif, danger, mort mort mort.

Les mots sont là pour donner un contour au réel. Ils sont très importants. La guerre menée par l’état d’Israël sur les populations palestinienne à Gaza mais aussi en Cisjordanie existe. Elle existait avant le 7 octobre, elle continue. Elle s’intensifie mais elle n’a pas commencé le 8 octobre.

Et si j’ai vu et su, d’autres peuvent voir et savoir. Le choix de ne pas voir et/ou savoir est un choix. A ce stade, il engage celles et ceux qui le font.

Et puis merde, pour parler simplement : la barricade n’a que DEUX côtés. On peut douter de beaucoup de choses, pas des faits étayés de massacre, photographiés en direct. Quand des juifs et des juives en position d’autorité décident de prendre position contre le génocide du peuple palestinien, il faudrait pouvoir se réjouir. Mais ils et elles ne nomment rien, même un an et demi après le début des faits. Ils ont beau travailler depuis le langage, les termes sont timides, à côté. Au fond, ils parlent d’eux, encore et toujours. De leurs sentiments, de leur intériorité. De leur chemin, de leurs atermoiements, de leurs hésitations qui refusent le conflit. Comme si on avait le choix.

Je suis bien placée pour savoir qu’on parle le plus souvent depuis « soi ». Mais puisqu’il se trouve que Delphine Horvilleur est rabbin dans la communauté qui m’a vu grandir au judaïsme, je me sens d’autant plus déçue. Le mot est faible mais je ne trouve pas mieux. Je voudrais le lester de toute ma colère sidérée. Après tout, les rabbins ont charge d’âmes. C’est pas rien. C’est même immense.

Les faits sont là. Depuis tant de mois, de morts, d’enfants, de femmes et d’hommes affamés, mutilés, traumatisés. Depuis tellement de larmes et de sang. Il faut plus. Je veux plus. J’exige plus.

Zeev voudrait faire sa bar-mitzvah, ne plus manger de porc, se rapprocher de la religion. Où est la communauté qui aidera mon fils à questionner la religion autrement qu’en faisant allégeance à un état génocidaire ? Où est cet espace symbolique qui accueillera aujourd’hui les doutes d’un petit garçon ? Pas pour le barder de certitudes, mais pour lui apprendre à construire la critique. Pas pour lui donner des prescriptions alimentaires mais pour l’initier aux joies de la lutte, inhérentes au judaïsme tel que j’aime le revendiquer, tel que je voudrais le transmettre?

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