C’est dimanche. Voyage dans les territoires palestiniens avec Karim de l'association Btselem.
Depuis que je suis volontaire à l’association israélienne Btselem, je vois du pays. Littéralement. Avant, je n’étais pas sortie de Tel Aviv, sauf pour un voyage à la mer morte et quelques incursions à Jérusalem, ville sainte honnie des pêcheurs d’ici-bas.
Je travaille pour le département vidéo. Avec ma coéquipière, nous pensons filmer les check-points. Pour s’aider à penser, on a vu le magnifique film de Yoav Shamir, Marsomim, et beaucoup d’images tournées par les femmes de Marsom Watch, une autre ONG locale qui surveille les check-points.
Marsom veut dire check-point en Hébreu.
Un marsom, des marsomim
Il n’y a pas de mot en palestinien pour dire check-point ; Karim m’explique qu’ils utilisent le mot hébreu.
Nous cherchons des endroits qui ont été peu filmés. L’association s’occupe de la défense des droits de l’homme, de faire que les Israéliens respectent les lois. Nous cherchons des endroits où les règles ne sont pas respectées, en espérant que, vidéo à l’appui, certaines choses pourront être changées.
Karim tempère notre naïveté tout en encourageant notre enthousiasme.
Il est Arabe-Israélien, travaille pour Btselem depuis quatre ans.
Les autres fois où je suis allée dans les territoires, j’étais accompagnée de Oren ou de Yoav, des Israélien Juifs. Ou de Diala, une très jolie Palestinienne de Jérusalem.
Ce n’est pas la même chose avec Karim, qui a une carte d’identité bleue (israélienne) sur laquelle, à l’emplacement où pour les Juifs il est écrit JUIF, une série d’étoiles a remplacé le mot ARABE, suite à de nombreuses plaintes.
On se fait arrêter dès la sortie de Jérusalem. Le jeune soldat jette un coup d’œil sur mon passeport français, sur celui de Lara, allemand.
Il demande à Karim de se mettre sur le côté, ouvre les portes de la voiture. Il fouille du bout des doigts, voit une carte, l’attrape. Karim me dit de la lui reprendre, il ne veut pas me la donner.
Je n’insiste pas trop, ma cheville frôle son flingue, c’est pas rassurant.
La carte est une copie de carte de l’armée, qui montre les emplacements des nouvelles colonies autour de Hebron.
Les papiers de Btselem n’arrangent rien, il faut attendre la permission de son supérieur pour passer, la carte l’a mis dans tous ses états.
Il nous la rend, verse sur Karim toute son incompréhension moqueuse : pourquoi on va visiter ces villages où rien ne se passe ? On est pas bien à Tel-Aviv ?
On va rendre visite à Mouhamad.
Mouhamad est un maçon. Il travaille illégalement en Israël. Mais depuis deux jours personne ne veut se risquer à traverser la frontière : la police a fait passé un ordre officiel pour prévenir que tous ceux qui seraient trouvé près du mur seraient tirés à vue.
Il nous sert du fanta et du café dans un beau salon aux couleurs fatiguées.
Karim traduit : Avant, ça allait, je faisais de l’argent en Israël, jusqu’à six mille shekels par mois. Maintenant, rien ou si peu : mille shekels les bons mois.
Son jeune cousin nous sert le café. Il ne nous regarde pas, reste dans un coin du salon les yeux baissés, visiblement gêné. Ou peut-être juste triste.
EtMouhamad continue : Ils ont un passage, pour passer la frontière. C’est un trou, un petit trou pas large. Il y a quelque temps, les policiers garde-frontière y ont lancé du gaz lacrymogène qui a failli les étouffer. Mais tout va bien, tout le monde s’en est sorti. Et il faudra y retourner, dans le trou. Pour aller passer la frontière et essayer de travailler. S’ils se font arrêter, la procédure est simple : un procès rapide, quarante jours de prison et mille shekels d’amende. Si on passe, c’est la vie du clandestin pendant une semaine, travailler et dormir sur le chantier et rentrer à la maison, donner sa paie pour les dépense de la maison.
Karim raconte que Btselem a reçu un coup de fil d’un entrepreneur israélien : je suis de droite, je vous aime pas mais je m’en fous, il faut que vous fassiez quelque chose… Il a dénoncé le commandant d’un marsom, qui torturait les Palestiniens avec lesquels il travaille.
On quitte Mouhamad. Karim a un moment de tristesse.
Les paysages sont magnifiques, la Palestine au printemps. Tout refleuri. Et beaucoup, beaucoup de soleil très chaud.
Sur la route, on croise des femmes qui portent des paquets énormes, des enfants qui coupent à travers champ avec des cartables plus gros qu’eux sur le dos, des vieux qui boitent : la route est réservée aux véhicules juifs. Pas officiellement, bien sûr quand on demande une explication au soldat pour son renvoi d’un véhicule arabe, il en a une, obscure mais rôdée : le couple dans la voiture n’a ni famille, ni résidence dans ce secteur.
C’est la loi de l’absurde, du hasard, du bon vouloir, du comment-t’es-luné.
On visite quelques marsomim. On hésite encore sur lequel on se concentrera.
Peut-être sur celui de Shu-afat, une route étroite entre deux citernes, remplies d’armée et de police et de voitures et de passants.
Ou sur Nu’eman, à l’entrée d’une ville techniquement sous la municipalité de Jérusalem puisque annexée par Israël en 67, mais dans laquelle les habitants ont tous une carte d’identité palestinienne et sont donc en situation irrégulière dans leur propre maison.
Ou sur une brèche dans le haut mur de séparation gardée par six policiers des frontières qui essaient de nous faire peur en nous parlant des terroristes.
Ou sur une barrière au milieu de nul part, censée être ouverte douze heures par jours, qui en fait ne se lève que deux heures irrégulières par ci par là…
Tous sont à quelques minutes en voiture de la ville sainte, si tant est qu'on est la bonne plaque d'immatriculation.
Karim nous raccompagne à la station de bus pour retourner de Jérusalem à Tel-Aviv. On arrive en quarante cinq minutes. Tout est si proche, c’est fou. Petit pays minuscule et dense.à voir: www.btselem.org