Hier soir, c’était la nuit des Oscars israéliens. La mère de Nadav était nommée pour l’Oscar du meilleur montage et je l’ai accompagnée à l’Opéra de Tel-Aviv où se déroulait la cérémonie… Pour lui tenir la main pendant la cérémonie et pour voir ce qui s’y passe. C’était incroyable. Certes, un peu long… On en aurait presque oublié le suspense final : le grand gagnant, le « meilleur film » représentera Israël aux vrais Oscars, en Amérique... mais incroyable quand même : un condensé de l’actualité récente et moins récente du pays.
Parmi les films représentés, sur la vingtaine de films produit cette année 2008 en Israël : Valse avec Bachir de Ari Folman, Shiva/ Sept jours de Ronit et Schlomi Elkabetz, La main de Dieu, de Igal Burstyn et LE hit populaire de l’année, Paradis Perdus de Reshef Levi… Le grand absent de la sélection étant Les Citronniers, de Eran Kolirin, qui a tout de même remporté le prix d'interprétation féminine pour Yam Habbas.
Le débat qui agite en ce moment le milieu est la menace que le nouveau gouvernement diminue le budget du cinéma. Depuis le temps que je viens et que je vis en Israël, c’est une menace constante. Mais là il semblerait que la rumeur se confirme. Chaque nommé s’est vu doté d’une idée à dire lors de ses remerciements : un chiffre (le nombre de spectateurs, de tickets vendus) un prix gagné (pour la meilleure photographie, le caméraman gagnant rappelle ainsi le prix de la caméra d’Or obtenu par Méduses à Cannes)…
A chaque fois : nous faisons des beaux films, ne nous laissons pas envahir par le cinéma américain, nous devons continuer de faire des films, aidez nous à continuer de faire des films, ne diminuez pas le budget du cinéma israélien… Et à chaque fois la salle applaudit, toujours fort, toujours enthousiaste. Et ce jusqu’à la fin, quand elle n’aura déjà presque plus la force de fêter les heureux gagnants.
Le grand gagnant, et ce n’était pas gagné contrairement à ce qu’on pourrait s’imaginer, c’est Bachir… A chaque fois qu’il remporte un prix, la musique du film sort de hauts parleurs, et à la fin de la cérémonie, tout le monde la fredonne : Levanon, boker tov… (bonjour, Liban…)
Ari Folman, en costume noir impeccable, monte sur scène et remercie l’académie qui lui a finalement octroyé son soutien, après des années de galère pour monter son film… Levanon, boker tov. Folman semble très ému. Il en oublie sa statuette sur scène, deux fois : une fois pour le scénario, une fois pour la mise en scène.
Je suis assise au deuxième rang, au milieu des techniciens et des comédiens et j'entends de manière distincte à chaque fois que la Valse gagne un prix: c'est bien... tant qu'à perdre, autant que ce soit pour lui... mérité, c'est mérité...
Entre les prix et les présentations, il y a des hommages aux morts et aux vivants, des chansons pop sorties de bande sonores de films connus, des gags.
Le ministre de la Culture et des Sports monte donner à Ari Folman le prix de la mise en scène. Madjadla est le premier ministre arabe au gouvernement, il est venu avec sa femme, très belle et très voilée. Pour finir sa courte allocution, et après avoir lui aussi souligné sous les applaudissements qu'il voudrait voir le budget du cinéma non pas diminué, mais augmenté, il souhaite à tous et à toutes de bonnes fêtes de fin d'année et pour les musulmans dans la salle une bonne fin de ramadan... petit message en forme de trait-d'union, et qu'on sent que la salle ne sait pas trop comment accueillir. Applaudissements épars.
Un homme aux cheveux blancs rappelle que la dernière allocution publique de Itzhak Rabbin avant son assassinat était lors de la remise des prix des Oscars israéliens. Il avait été applaudi debout par toute la salle pendant de longues minutes. Vous vous souvenez? il demande. Quelques murmures, oui, oui... C'était il y a longtemps. Mais pas si longtemps que ça.
Les monsieurs-loyals de la fête sont deux comiques israéliens. Un poil lourds. Mais rigolos. Ils proposent une cérémonie parallèle, un mini-Oscar si vous préférez. Et le gagnant pour le meilleur comédien dans un rôle principal? Principal, ah oui... Gagnant haut la main, sans compétition possible, ah oui... Ehud Olmert!! Bravo, bravo...! Ils montrent un extrait de sa performance (un court passage d'une allocution de Olmert suite à un énième scandale financier): Olmert regarde son auditoire, bat des cils et promet « je vous jure que je n'ai pas pris un seul centime de cet argent ». La salle se plie littéralement de rire.
Je me souviens d'une question qu'avait posé un journaliste anglais à Ari Folman pendant la frénésie cannoise qui avait entouré son film: « Pensez-vous que votre film sera interdit en Israël? ». Cela l'avait fait beaucoup rire. Son film a été produit avec de l'argent d'Etat. Comme Marsomim (un film sur les checkpoints), comme tous les films de Avi Mograbi. Cette capacité à critiquer le pays de l'intérieur et par le cinéma est régulièrement remise en cause par la droite du parlement. Et régulièrement des menaces pèsent sur les institutions cinématographiques qui permettent de faire ces films. Mais c'est un fait, il y a une liberté de parole et de critique incroyable en Israël. On peut même accuser publiquement le premier ministre en exercice de mensonges et de corruption, lors de la cérémonie des Oscars.
Ari Folman monte une dernière fois sur scène pour recevoir le prix du meilleur film. Il va donc représenter le pays aux Oscars avec son très très beau film sur ce que la guerre fait aux têtes des jeunes gens israéliens. Sur scène, Folman appelle toute son équipe à le suivre. Et il dédie son film aux huit enfants nés à l'équipe pendant les quatre années de productions, en disant espérer qu'un jour ils verront le film et que ce qu'il raconte leur semblera très très loin...