Je n’ai qu’un visa de touriste. Qui d’ailleurs a expiré depuis un mois. Mais bon, une sortie éclair dans un pays voisin (suffit de traverser la frontière dans le désert du Sinaï) et je peux rester trois mois de plus. Je n’avais pas envie de faire les démarches, pas envie tout de suite, pas encore, d’avoir un passeport israélien.
Mais je peux, je pourrais.
Parce que je peux, je suis juive.
C’est très mal élevé, en France, de demander sa religion à quelqu’un. Ça se fait pas, non ?
Ici, c’est la première question… ou plutôt, la deuxième : comment tu t’appelles ? Naruna… t’es pas juive, alors ?
Ben si.
Des fois j’ai dit non pour voir comment mon interlocuteur s’en sortait. Mais ils s’en fichent, pas gênés pour un sou. Au pire j’ai eu droit à des réactions atterrées : mais qu’est ce que tu fais ici, alors ? Forcément, la seule raison valable d’être en Israël serait la judéité. S’ils pouvaient, eux, ils partiraient loin, loin, loin. An Amérique, en Europe. Ailleurs, quoi. Alors quelqu’un qui vient ici sans raison…
Là j’explique : mon mari est israélien.
On est beaucoup dans ce cas. Les hommes israéliens ont beaucoup de succès à l’étranger, apparemment. Mon cours d’ulpan (cours d’hébreu accéléré pour immigrants) est plein de filles comme moi. Mais pas toutes sont juives. Gloria, par exemple. Elle est venue de Colombie gagner de l’argent, pensait repartir riche trois ans plus tard. Mais elle est tombée amoureuse et veut se marier, rester ici, fonder une famille. Tout est prêt, sauf sa conversion. Ils se sont même déjà mariés civilement à Chypre. Trois mois qu’elle attend l’affirmation du rabbin qu’elle sera une bonne mère juive. Rabbin orthodoxe, bien sûr, faut pas croire que le gouvernement laisse n’importe qui devenir juif : on veut être plus nombreux que les Arabes mais pas à n’importe quel prix. Ses histoires sont entre le cocasse et le tragique.
Je n’ai donc aucune envie de me frotter à l’administration israélienne, et fais tout pour l’éviter depuis trois ans que je fais des allers et retours entre Paris et Tel-Aviv.
Mais là, j'ai du travail ici...
Je téléphone à mon amie Lara, allemande-non-juive, qui s’est occupée de ses papiers il y a quelques mois. Elle soupire au téléphone, rien que de se rappeler l’aventure, elle est fatiguée. Elle me donne la liste : casier judiciaire, certificat de résidence dans le pays d’origine, extrait d’acte de naissance, emails et photos du couple pour prouver que ce n’est pas un mariage blanc… arg
Je demande à Nadav d’appeler le ministère pour moi pour confirmer la liste. Ils notent mon nom, mon numéro de passeport. Nadav dit que je suis juive.
Fallait le dire : extrait de date de naissance, extrait de mariage, et un certificat de judéité signé de mon rabbin… et zehou (c’est tout comme ils disent). Ils précisent aussi que si j’ai la ketouba (acte de mariage rabbinique) de mes parents c’est bien. Mon père n’est pas juif.
Bon, tant que ma mère l’est…
Comment on prouve qu’on est juif ?
Le fait est qu’avant de venir ici, je ne m’étais jamais posé autant de questions là-dessus. J’étais juive et c’était tout.
Là maintenant j’apprends que je suis une demie-juive, il faut encore que je le prouve.
Nadav me rappelle ses démarches administratives délirantes en France, pour sa demande de carte de séjour. Inoubliables, les heures d’attentes dans des préfectures glauques à se faire insulter.
Mais depuis quand la nationalité française ou la nationalité israélienne sont la même chose que la religion juive ?
Pays de dingue.