Le nom de Damien Abad m'était familier, probablement parce que j'avais suivi de près la campagne présidentielle de 2017. Je n'ai pas été surprise en voyant sa photo dans la presse, j'ai reconnu son cou massif, ses épaules carrées et ses lunettes.
A part ça, je ne voyais pas trop qui il était, quelles étaient ses "domaines de compétences" ou ses positions politiques.
Mais je pense que quand il a été pressenti pour une charge ministérielle, j'ai vu plus de photo de lui circuler. Je n'ai pas particulièrement tiqué sur lesdites photos. Qu'est ce qu'on regarde sur une image?
Ses portraits étaient toujours cadrés plus ou moins pareil, au niveau des épaules.
Mais d'un coup, avec ses affaires de viols, on a plus vu de représentations photographiques du ministre en devenir circuler dans les journaux. Et je constate après coup qu'il était représenté comme un homme fort. Des épaules larges, une mâchoire carrée, un cou épais. On dirait un rugbyman.
L'affaire sortie, il nie les faits.
Et puis, il contre-attaque, il dit qu'il n'a pas pu violer.
Qu'il n'a physiquement pas pu violer ces femmes.
Pas possible pour lui, à cause de son handicap.
Et le lendemain (pour le conseil des ministres où il se rend) on voit des images de lui "en pied", entrant dans l'Elysée.
Dans ce cadre élargi, il ne ressemble plus du tout à un avant centre du quinze de France. On découvre ses jambes, ses bras. On voit ce qui avant été suggéré, une atrophie qui prend corps.
Et je ne peux pas ne pas m'interroger: à quand le glissement iconographique ?
Quand est-ce que les hommes et les femmes qui mitraillent les politiques devant le perron élyséen se sont dit: on y va, on va laisser son handicap visible?
Quand est-ce que les "iconos" (celles et ceux qui décident des visuels à mettre en avant pour une "une" ou un "papier") ont admis que les photographes reculent un peu plus, attrapent le corps en entier du ministre Abad ?
Est-ce que d'autres photos de lui comme ça avaient circulé avant ?
Je n'en avais pas vu, peut-être m'avaient elles échappé.
Ou est-ce que c'est une manière (consciente? ou pas) de recouper son récit ?
Ce qui interroge là, au-delà de la construction visuelle d'un récit public, c'est bien évidemment ce qu'un homme (et par conséquent une femme) politique met en avant dans les photos qu'il (ou elle, j'insiste) fait circuler de lui.
Un.e politique se doit d'être fort. L'incarnation du pouvoir doit être carrée, virile. Un roc sur lequel reposer ses doutes d'électeur et ses espoirs citoyens. Alors pas de place visuelle pour le handicap, bien sûr. Pas de faiblesse, pas d'hésitation. Rien que du dur, du muscle, du lourd, du menton en avant.
Sauf si cette force est remise en cause comme violente ou dangereuse.
Alors faudra adoucir. Avec des chats, par exemple.
Ou un portrait de ministre en homme affaibli...
Il y a encore du chemin, évidemment.
Du chemin à parcourir contre les violences sexistes et sexuelles en politique. Mais aussi dans les représentations que nous nous faisons et que nous nous fabriquons, de celles et ceux qui nous représentent.