En désordre…
Deux soldats, une caméra à la main qui est l’exacte réplique de la mienne… Vous filmez quoi ? Téléréalitémilitaire, moi, je suis le caméraman… Et c’est comment, de filmer en uniforme ? Ben, pareil… C’est pas différent, un plan militaire et un plan civil ? Ben, non… non, je crois pas, non… pourquoi ?
A la station de taxi de la rue Balfour.
C’est quoi votre rue préférée ? Avenue Menachem Begin ! parce qu’il a fait la paix avec l’Egypte, je me souviens encore. Vous verrez, bientôt Netanyahu fera pareil avec les Syriens bezrahashem (avec l’aide de dieu)…
Et Balfour, c’était qui ? Un goy, un goy certainement, m’énervent tous ces noms imprononçables.
Et Emile Zola ? Il y a plein d’arbres, c’est joli.
Et la rue Kaplan ? Mouais… c’est la rue de la base militaire, quoi… y’a pas grand chose à dire dessus.
La rue Kaplan, justement, on est allé y filmer les soldats, leur arrivée désordonnée au petit matin, les chemises qui dépassent des pantalons, les yeux encore endormis, les cheveux tirés, les cafés bus à la va-vite, les pas pressés, les armes qui ballottent le long des jambes…
le tout dans MA rue.
Arrivent cinq (très) jeunes et (très) petits soldats sur-armés, dont deux avec des casques d’opération spéciale, une jeep militaire se gare à côté de nous et un soldat à peine plus âgé en sort : Bougez plus, éteignez la caméra… Elle est éteinte. J’ai ordre de vous immobiliser. Pourquoi ? Vous êtes fous ou quoi ? vous filmez une base militaire depuis une demie-heure, vous n’avez pas vu les panneaux INTERDIT DE PHOTOGRAPHIER… ?
Euh… si, mais ça je te le dis pas.
Mais, monsieur… (battements de cils) je suis une nouvelle immigrante (accentuation de l’accent et battements de cils… Ido, le caméraman, bat aussi un peu des cils… tous les deux on souri beaucoup pour montrer qu’on est bêtes… tout pour qu’il ne nous prennent pas les images qu’on vient de voler).
Je suis ici pour filmer la rue Kaplan parce que je m’appelle Kaplan, moi, voyez la coïncidence…
Pièces d’identité, on va voir ça.
Il lit nos deux numéros d’identité dans son téléphone qui fait « rrrrrrrr », ça crache et ça crache et une voix lui répond d’attendre. Il renvoi la patrouille de gamins en kaki mais nous garde plantés sur le bord de l’avenue Kaplan, sous le regard amusé des soldats qui continuent d’entrer dans la base.
Une bonne dizaine de longues minutes plus tard, on en est toujours au même point.
Alors, ma sœur (c’est à moi qu’il parle), comment tu trouves Israël pour l’instant, tu t’habitues ?
Là c’est pas un bon moment pour me poser la question, là…
Des bêtises, « burokratia », cinq minutes et tu repars, t’inquiètes… dis moi, tu aimes ?
A l’ulpan (cours d’hébreu), dîner de Pessah avec tous les cours du soir, pour fêter ensemble la sortie d’Egypte avant les vacances.
Deux jeunes femmes Philippines mangent du gefilte-fish avec passion.
Pour ce qui ne savent pas le gefilte-fish est une spécialité de l’Europe de l’Est à base de carpe farcie… disons pour faire court et retirer à qui que ce soit l’envie d’y goûter que l’appréciation culinaire de ladite spécialité nécessite une grand-mère Ashkenaze et persuasive (tu manges ou je me tue) et des années d’entraînement.
Dang et Mia en partagent un dernier avec des gazouillis approbateurs, je suis bluffée.
A l’aéroport, un groupe de jeunes, tous avec le même sweat-shirt à capuche blanc. Dessus, au niveau de la poitrine, une étoile de David et le mot « jude » à l’intérieur.
Vous revenez d’où ?
De Auschwitz ! tu es Juive ? alors tu es obligé d’y aller, visiter les tombeaux des justes, voir les trains tout ça ! mais il ne faut pas juste déprimer, hein… il faut sortir de là-bas plus fort, plus concentré ! ça doit de faire mûrir sinon ça sert à rien…