Nasr Lakhsassi
Enseignant, syndicaliste FSU, professeur de l’enseignement professionnel (PLP).
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Billet de blog 3 févr. 2023

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Les mauvais comptes de l’apprentissage

De janvier à novembre 2022, 809100 contrats d'apprentissage ont débuté, soit une augmentation de 13,4 % par rapport en 2021. Bien évidemment, le gouvernement s'en félicite. Christian Sauce montre que derrière ce résultat « flatteur » se cache une réalité bien moins reluisante : des centaines de milliers de contrats rompus et des taux d'insertion très éloignés de ceux qui sont claironnés.

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« Avec près de 810.000 entrées en apprentissage de janvier à novembre selon des chiffres bruts du ministère du Travail tout juste publiés, le millésime 2022 est parti pour battre un nouveau record. S'y ajouteront environ 20.000 contrats en décembre - les chiffres définitifs seront connus fin février - ce qui augure d'une progression annuelle d'au moins 12 % probablement encore tirée par les étudiants et le secteur tertiaire. A ce rythme, l'objectif du million par an du gouvernement sera atteint en 2024, peut-être même dès cette année. »

Dans cet article des Échos du 1er février, l’enthousiasme est au rendez-vous : avec 4 ans d’avance sur le calendrier annoncé, Emmanuel Macron va atteindre l’objectif quantitatif qu’il s’était fixé. Quel homme extraordinaire ! Quel génie ! C’est d’ailleurs tellement incroyable que le journaliste des Échos balaie d’un revers de main toutes les dérives de l’apprentissage qui ne cessent d’être dénoncées dans un nombre croissant d’études et de reportages : « un tiers de ruptures de contrat », pas grave, « les jeunes en résignent un dans les 6 mois qui suivent » ; « la progression se fait surtout dans le supérieur », pas grave, « ça correspond à l’allongement de la durée des études » ; « la fuite de l’argent de l’apprentissage vers les fonds d’investissement », pas grave, « ce n’est pas avéré » (sa consœur de Libération qui a mené une longue enquête à ce sujet appréciera...)

Mais c’est un enthousiasme factice. En effet, même le ministère du travail reconnaît ces derniers jours que la forte augmentation de l’apprentissage (dopé par l’argent public ne l’oublions pas) s’est faite au détriment de la qualité, le quantitatif ayant pris largement le pas sur le qualitatif. Dans le même article, le président de France Compétences, organisme public régulateur de l’apprentissage, avoue se pencher sur la qualité de l’enseignement et sur les taux d’insertion : « On a commencé à travailler » !!! 5 ans après la promulgation de la loi libéralisant la formation professionnelle initiale des jeunes, il serait peut-être temps de s’occuper des êtres humains que sont les apprenti-e-s…

De la qualité, parlons-en ! Le 17 janvier 2023, le ministère du travail (la Dares) a publié les indicateurs nationaux pour l’apprentissage, années 2020-2021. Les résultats sont effrayants quant au nombre de ruptures de contrat et aux taux d’insertion. Exactement l’inverse de ce qui nous est seriné à longueur de journées, de mois et d’années.

Précisons pour commencer que l’apprentissage est un système de FORMATION et non pas la succursale de Pôle emploi pour fournir des emplois précaires en lieu et place d’emplois pérennes ! Depuis l’arrivée de Macron au pouvoir, l’apprentissage s’est particulièrement transformé en un opportuniste système de sélection, d’autant plus qu’il n’y a ni contrôle ni contrepartie pour les employeurs bénéficiant largement de l’argent public. C’est ainsi que du CAP aux diplômes universitaires, les taux de ruptures de contrat atteignent des niveaux exorbitants et inadmissibles :

64 % dans le BTS Métiers de l’audiovisuel, option métiers du son ; 55 % en BP Travaux forestiers ; 54 % en Bac Pro Maintenance des véhicules option véhicules de transport routier ; 50 % en BTS Gestion et protection de la nature,  en BTM Prothésiste dentaire, en BP Éducateur sportif , en Bac Pro métiers de l’accueil ; 48 % en Bac Pro Optique lunetterie, en DUT Hygiène sécurité environnement ; 46 % en BTS Économie sociale et familiale, en CAP Métiers du football ;  45 % en BP Menuisier, en CAP Maréchal Ferrant ; 44 % en BTS Professions immobilières ; 43 % en Menuisier Installateur ; 42 % en BMA Horlogerie ; 41 % en Titre homologué niveau 5 Conducteur de transport en commun, en BTM Ebéniste, en BTS Aéronautique ; 40 % en CAP Tapissier d’ameublement , CAP Peintre, Bac Pro Accueil ; 39 % en BTS Aquaculture…

En moyenne, tous niveaux confondus, c’est 32 % de ruptures (source France Compétences) ! Qui s’en préoccupe ? Les apprenti-e-s ne « meurent » pas tous et toutes mais tous et toutes sont frappé-e-s. Pas étonnant que l’on manque de main d’œuvre qualifiée. Pour de nombreux employeurs, c’est je prends l’oseille puis tu te tires et je prends un autre apprenti. C’est ce que nos « responsables » appellent l’excellence, l’eldorado et la voie royale !

Venons-en à l’insertion professionnelle. Il y a là aussi beaucoup à dire. Pour TF1, le 30 janvier, « l’apprentissage reste la meilleure voie pour apprendre un métier et trouver du travail. » Pour l’Union des Industries Minières et Métallurgiques (UIMM, branche du Medef), ce sont 94 % des apprenti-e-s qui trouvent un emploi dans les 6 mois suivant la fin de leur formation (26/01). Pour les Chambres des Métiers et de l’Artisanat (CMA), c’est 84 % (27/01). Pour Carole Grandjean, la ministre, c’est 70% (8/12). En un mot, c’est génial ! Même la bourgeoisie va mettre ses enfants en apprentissage dès 14 ans pour être sûre qu’ils aient un boulot à la sortie…

La réalité, selon les statistiques de la Dares, est fort éloignée de ces chiffres mirobolants. Quelques exemples : sur 2211 apprentis en dernière année CAP Peinture-Revêtement, 657 (30 %) sont en emploi 6 mois après leur sortie d’apprentissage, en CAP Serrurier, 33 %, CAP Maçon, 31 %, CAP Jardinier-Paysagiste, 22 %... En Bac Pro Commerce et Bac Pro Cuisine, 40 %, en Bac Pro Travaux publics, 39 %, en Bac Pro Technicien des systèmes énergétiques, 33 %... En BTS Communication et BTS Sanitaire et social, 33 %, en BTS Aéronautique et Management 29 %...

Quasiment jamais ne sont atteints les 70, 80, 90 % ! Pourtant c’est bien sur ces pourcentages erronés que le gouvernement s’appuie pour justifier les milliards d’argent public qu’il distribue généreusement aux recruteurs d’apprentis ! Certes, une partie des non embauchés se retrouvent en poursuite d’études, souvent en apprentissage, mais ils ne sont pas en emploi pour autant comme l’affirment les thuriféraires de l’apprentissage. Ces mensonges sont insupportables tout comme l’est la confusion entre formation et emploi. Ces gens-là ne sont que des baratineurs malfaisants : pour se faire du fric, ils n’hésitent pas à tordre la réalité et à tromper ainsi nos adolescents et leurs parents.

L’État a dépensé 11,3 milliards d’€ en 2021 pour l’apprentissage patronal. Le triple de ce qu’il consacre aux Lycées Professionnels. Pour des résultats très loin de l’excellence et de la voie royale. On pourrait même dire inadmissibles quand il s’agit de la formation professionnelle de nos adolescents et jeunes adultes. Mais tant que le peuple gobe et que le pognon se ramasse à la pelle…

Cependant, promis, juré, craché, les encenseurs de l’apprentissage vont se pencher, incessamment sous peu, sur la qualité de l’apprentissage. C’est leur nouvel engagement tant ils se sentent pitoyables dans ce domaine : « Faut être honnête, sur les contrôles, on n’est pas suffisamment bons ! » reconnaît le Ministère du travail (Les Echos, 2/2). Et d’ajouter : « Il est désormais venu le temps des contrôles ». Les promesses n’engagent….

Christian Sauce

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