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Enseignant, syndicaliste FSU, professeur de l’enseignement professionnel (PLP).

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Billet de blog 8 septembre 2023

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Lycées Professionnels : « cause nationale » pour mieux les exclure de l’EN !

Pour Christian Sauce, ardent défenseur de l'enseignement professionnel sous statut scolaire, Emmanuel Macron ne cesse d'encenser et de réformer le lycée professionnel pour mieux le transférer, d'abord aux Régions, puis à la formation professionnelle patronale dans les CFA ! Ses alertes ont souvent précédé la réalité des faits ! Raison de plus pour rester vigilant !

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En ce début d’année scolaire, l’ardent défenseur des lycées professionnels (LP) que je suis aurait tout pour être heureux ! Depuis le 4 mai 2023, le Président de la République ne cesse de répéter qu’il fait de la réforme du LP “une cause nationale” et les mots lui viennent aisément pour montrer toute son empathie envers les élèves de ces établissements : “Le président de la République a dit vouloir lutter contre « l'assignation à résidence qu'il dénonçait il y a six ans ». Il voit l'orientation comme « la mère des batailles » et évoque les jeunes qui sont « orientés en lycée professionnel pas toujours par choix, parce que c'est le fruit d'un décrochage qui a commencé avant »1! 

Certes, ça fait six ans qu'il le dit, sans aucune amélioration, mais ça fait toujours du bien de l'entendre ! Il a d’ailleurs concrétisé son intérêt pour ces jeunes, issus très majoritairement des classes populaires, en gratifiant leurs périodes de formation en entreprises !

Dans son entourage, même refrain ! Carole Grandjean, la ministre de l’enseignement et de la formation professionnelle, n’y va pas par quatre chemins : “L’image des Lycées Professionnels va changer. Trop souvent les LP ont été invisibilisés. Pourtant c’est un tiers des lycéens qui passent par la voie professionnelle, très souvent issus des milieux fragiles. Il s’agit d’un énorme enjeu pour ces jeunes qui préparent leur avenir.”2!

Dans la foulée de ces déclarations d’amour pour les LP et leurs élèves, la plupart des médias redécouvrent ces établissements (qui n’ont que 64 ans d’existence…!) : “D’où viennent les lycées professionnels et quelle est leur histoire ?” Sud Ouest “Rentrée scolaire : les lycées professionnels font leur mue.” La Croix “ Le lycée pro : nouvelle voie d’excellence ?” Le Point

Il est difficile de rester insensible à tant d’intérêt soudain pour ces établissements et leurs élèves quand leur défense et leur promotion est votre principal cheval de bataille depuis 50 ans ! Et vous pensez immédiatement à tous ces Professeurs de Lycées Professionnels qui font un boulot de dingue depuis des lustres pour tenir et résister aux viles attaques que ne cessent de subir nos établissements au seul profit de l’apprentissage patronal ! Enfin, la vérité et leur reconnaissance éclatent au grand jour...

Mais chassez le naturel, il revient au galop. Il aura fallu peu de temps pour que la couche de vernis craque !! Dès le lendemain du discours du Président dans un LP d’Orange le 1er septembre, le fond de sa pensée est apparu toute crue dans les coulisses de sa visite : “Dès son arrivée, Emmanuel Macron s’est très vite dirigé vers l’atelier carrosserie du lycée professionnel de l’Argensol pour présenter son plan pour...l’apprentissage.” !! Le titre de l’article du Dauphiné Libéré ne laisse planer aucun doute : “L’apprentissage, c’est notre bataille.” ! Le lycée professionnel “cause nationale” s’est subitement transformé en “l’apprentissage, c’est notre bataille” !! Fallait oser !!

Pour être honnête, je n’en suis nullement étonné. Je n’ai jamais pensé que le PR allait faire du véritable en même temps : en même temps le lycée pro, en même temps l’apprentissage. Sa politique depuis 6 ans témoigne que c’est le temps exclusif de l’apprentissage patronal !

Faisons les comptes : depuis la “réforme” Pénicaud de libéralisation du marché de l’apprentissage, le nombre d’apprentis a été multiplié par deux (de 429.000 à 937.000), le nombre de CFA, Centre de Formation d’Apprentis, par trois et demi (de 958 à 3123), l’argent de l’état, généreusement dilapidé, par 10 (de 2,2 à 22 milliards) ! Le tout sans aucun contrôle ! Tout simplement insupportable. Dans le même temps, après la “réforme” Blanquer, les lycées pros publics et privés ont perdu 35000 élèves (de 656.000 à 621.000), 44 lycées professionnels ont été fermés et le budget alloué par l’état ne devrait augmenter que d’un milliard en 2024 (de 4,9 à 5,9 mds) !! Une goutte d’eau dans l’océan de la formation pro d’autant plus que cet argent public n’existe que pour compenser la baisse drastique de la participation des entreprises, via la Taxe d’Apprentissage, au fonctionnement des lycées professionnels !!!

Alors que cherche le PR en soufflant le chaud avec ses éléments de langage pour camoufler le coup de froid qui se profile avec la fin de la gestion des lycées professionnels par le Ministère de l’Education Nationale ? Faut le débusquer dans une autre partie de son discours : “Le chef de l’État défend une refonte de la carte des formations “très territorialisée et la systématisation des CNR territoriaux pour que chaque établissement bâtisse des solutions qui lui sont adaptées". Il y voit un moyen d’offrir "plus de liberté pour les directeurs d’établissement et les enseignants."3

Carte des formations territorialisée, systématisation des CNR territoriaux, autonomie des établissements pour bâtir des solutions, ce n’est rien d’autre que l'annonce de l’abandon par l'état de la gestion des LP !

Cela tombe bien puisque les régions n’ont cessé depuis 4 mois de monter au créneau sur ce sujet :  “La question reste posée d’une vraie réforme du lycée professionnel, celle d’un pilotage régional de la carte des formations et d’une pleine ouverture de la gouvernance des lycées” Régions de France4“Régionalisation et autonomie : la vraie réforme pour les lycées professionnels.” James Chéron, vice-président de la Région Île de France5 “Dans le cadre de la loi 3 DS, Valérie Pécresse demande que les lycées professionnels soient transformés en établissement locaux d’enseignement régional”6 !! Si ce n’est pas un tir nourri pour mettre fin à la tutelle du MEN sur l’enseignement professionnel sous statut scolaire, c’est à n’y rien comprendre !

Alors où est le problème me direz-vous ? Je réponds que c’est l’étape ultime avant la privatisation de l'enseignement professionnel et son absorption par l’apprentissage patronal. Il ne faudra que très peu de temps en effet pour que les Régions ne fondent les LP dans les CFA avec l’accord du Medef et des branches professionnelles qui les dirigent ! La victoire du marché sur la formation de l’homme du travailleur et du citoyen ! Une régression de 100 ans, avant la loi Astier de 1919 d'organisation de l'enseignement technique industriel et commercial ! Cette régression correspond aux souhaits de Jean-Michel-Blanquer en 2018 (“Il faut insuffler un esprit de coopération entre CFA, lycées professionnel et régions”), de l’Ifrap, encore et toujours (“A quand l’absorption des lycées professionnels dans les CFA ?”) et enfin d’Emmanuel Macron dans son programme présidentiel de 2022 : “Faire de l’alternance le cœur de l’enseignement professionnel. Nous la développerons dans tous les lycées professionnels.” Si l’apprentissage se développe dans tous les LP, ce ne sont plus des LP mais des CFA ! CQFD !

Tout aussi grave : le corollaire de la régionalisation puis de la privatisation annoncée de l'ensemble de l'enseignement et de la formation professionnelles est la disparition des diplômes nationaux (CAP, Bac Pros, BTS...). En effet, la mode est aux certifications, ces “diplômes" maison qui “correspondent précisément aux compétences attendues par UN secteur d'activité”. Début 2022, on en dénombrait 4690 actives inscrites au RNCP et 729 au RS7 ! Déjà, plus de 30 % de jeunes en apprentissage ne préparent plus un diplôme national mais une certification. Pour l'avenir des LP qui doivent donc se réformer sur le modèle de l'apprentissage, pas besoin de vous faire un dessin ! Et les “boîtes” de formation ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin puisque la nouvelle mode est la micro-certification qui se développe “en dehors des cadres formels sous la forme d'attestations distribuées par les organismes de formation.”8

La boucle est bouclée : l'avenir de l'enseignement pro, c'est l'employabilité immédiate pour répondre aux besoins du marché de l'emploi local ! De l’intérêt des jeunes, il n’en est guère question ! En 1959, à la création des CET, ancêtre de lycées professionnels, De Gaulle déclarait :"L'État a une responsabilité en matière d'éducation, il doit assumer de former sa jeunesse ce qui signifie évaluer les besoins et planifier l'action éducative."9 On s'en éloigne définitivement ! Avec tous les risques que cela comporte !

Christian Sauce

1- Les Echos (1/9/2023)

2- Ouest-France (4/9/2023)

3- AEF (4/9/2023)

4- 4 mai 2023 

5- 12 mai 2023

6- AEF (4/9/2023)

7- RNCP = Répertoire national des certifications professionnelles / RS = Répertoire spécifique

8- Centre inffo (17/11/2022)

9- Françoise Mayeur “De Gaulle et l’éducation nationale”

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