En l'espace d'un mois et demi, 3 adolescents et une jeune femme sont morts en formation ! Lorenzo, un apprenti maçon de 15 ans, percuté par une pelleteuse à Nice. Lucas, un élève de bac pro de 17 ans, écrasé par une poutre métallique à Lyon. Axel, 16 ans, un lycéen de seconde en stage d'observation, renversé par une palette à Saint-Lô et qui a perdu la vie après que sa tête ait heurté un trottoir en tombant. Une élève de lycée agricole de 19 ans est décédée après avoir été percutée par un taureau dans une exploitation bovine ! Ces 4 morts brutales de jeunes en entreprise, largement relayées par les médias, ont profondément ému nos concitoyens.
Le problème, c'est que la mort au travail d'adolescents et de jeunes adultes n'est pas une nouveauté. C'est ainsi depuis des années, surtout après la multiplication des stages en entreprises et l'explosion de la formation par apprentissage depuis qu'elle est dopée aux aides publiques rendant les apprentis quasi gratuits pour le patronat. Quelques exemples dramatiques : un stagiaire de 14 ans, écrasé par le bras télescopique d'un manitou dans une ferme près de la frontière belge; un apprenti de 16 ans écrasé par un engin agricole dans les Vosges; un apprenti bûcheron de 17 ans écrasé par la chute d'un arbre en Savoie; un stagiaire de 21 ans, qui travaillait sur un chantier du projet Éole d’extension du RER parisien à Pantin (Seine-Saint-Denis) a fait une chute de cinq mètres entraînant son décès...La liste est longue, trop longue. En 2023, ce sont 38 jeunes de moins de 25 ans qui ont trouvé la mort sur leur lieu de travail (INRS). A cela s'ajoutent les quelques 15000 accidents du travail des apprentis (hors trajet) qui ont lieu chaque année et dont certains handicaperont à vie ces jeunes travailleurs. Le dernier en date s'est produit le 18 juin 2025 dans un garage du Doubs où un apprenti de 18 ans a été brûlé à 85 % !
Il n'y a rien d'étonnant que de tels drames se multiplient. Avec nos dirigeants, la formation en entreprise devient l'alpha et l'oméga de l'enseignement professionnel. Souvenons-nous : "Alternance, apprentissage et orientation dès la 5ème" Emmanuel Macron ; "L'apprentissage c'est la voie royale vers l'emploi" Muriel Pénicaud ; "Les élèves doivent mieux connaître le monde de l'entreprise" Blanquer ; "Faire de l'apprentissage une voie d'excellence" Elisabeth Borne. Dans le même temps, le président déclarait : "Le lycée professionnel est mal foutu." ! Faut vraiment être borné pour ne pas comprendre que l'idéologie libérale et les désidératas du Medef ont pris le pas sur l'éducation nationale !
Depuis 2017, le nombre de jeunes qui "déferlent" en entreprises a presque doublé (hors secteur agricole). D'un million dans les années 2000 (700 000 lycéens professionnels en période de stages et 300 000 apprentis passant 3/4 du temps en entreprises), on est passé en 2024 à 1 650 000 (650 000 lycéens professionnels et 1 000 000 d'apprentis). Ce n'est pas tout : 553 000 élèves de seconde générale et technologique inondent les entreprises pendant deux semaines au mois de juin. Sans parler des étudiants et des jeunes en contrat de professionnalisation. C'est une folie ! Dans une entreprise dont le but est de produire pour gagner de l'argent, qui peut décemment croire que le patronat va décharger des salariés pour prendre sérieusement en charge ces millions de jeunes qui déboulent tout au long de l'année ?
Déjà, en période normale, une grande partie du patronat ne répond pas aux obligations légales. Une enquête de L'Etudiant montre que 28 % des apprentis n'ont pas de tuteur et se retrouvent donc sans encadrement pour travailler. Pour les mineurs préparant un CAP, c'est 38 % ! Effrayant et inadmissible. Tout aussi grave selon un rapport de l'inspection du travail en Pays de Loire : 43 % des entrepreneurs ne respectent pas les règles d’hygiène et de sécurité. Et dans un 1/3 des entreprises, le suivi médical des apprentis est défaillant ! Et c'est le cas dans toute la France. Par contre, je n'ai pas entendu dire que les patrons qui ne respectaient pas les lois du travail étaient privés de l'argent public sous forme de primes et exonérations.
Vous ne rêvez pas. Cela se passe sous nos yeux en 2025. Ce passage obligé en entreprises se transforme en grande souffrance pour des dizaines de milliers de jeunes et pour de nombreuses familles qui perdent leur enfant ou le retrouve grandement handicapé. La main d'œuvre pas chère qui inonde le marché de la formation devient une proie facile pour les entreprises en quête du maximum de profit, d'autant plus que les contrôles sont quasiment inexistants par manque flagrant d'inspecteurs du travail. Tout est lié !
L'appât du gain ne saurait transformer notre pays en une jungle infâme. Ce n'est pas ce monde que nous avons voulu pour nos enfants. Il n'est pas admissible qu'une idéologie qui prône l'individualisme pour servir ses propres intérêts fasse souffrir ainsi des milliers de nos jeunes concitoyens ! N'oublions pas que ceux qui donnent des leçons de morale devraient être les premiers à en recevoir !
Christian Sauce