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Billet de blog 6 octobre 2020

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Macron séparateur?

L'allocution d'Emmanuel Macron qui prétendait dénoncer les ‘séparatismes’ dans notre République s’est vite transformée en faux procès contre une seule forme de séparation, visant une fois de plus, par ricochet, une seule communauté, ostensiblement visée : les musulmans. Mais faire nation, c’est aussi lutter contre les inégalités et les discriminations qui frappent durement l’ensemble de nos quartiers populaires. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vendredi 2 octobre 2020, aux Mureaux, le Président de la République, Emmanuel Macron a prononcé un discours qui marquera la fin de son quinquennat et peut-être le début de son aspiration à un second mandat.

Cette allocution qui prétendait dénoncer les ‘séparatismes’ dans notre République s’est vite transformée, en faux procès contre une seule forme de séparation, visant une fois de plus, par ricochet, une seule communauté, ostensiblement visée : les musulmans.

Tout en se défendant de ne pas vouloir rentrer dans le bal de la stigmatisation, le Président n’a évoqué que certaines situations mettant en scène des musulmans. Procédant souvent par allusions, ce discours laissera à nombre de français de confession musulmane un goût amer, où l’islamisme radical se situerait à l’intersection des promesses oubliées de la République et de l’institutionnalisation des discriminations subies.

Depuis la fracture sociale, non résorbée par Jacques Chirac, l’instrumentalisation du ministère de l’identité nationale, vite abandonné par Nicolas Sarkozy, les séparatismes ou plus précisément le séparatisme islamiste est devenu le nouveau concept-valise qui permet d’entasser les peurs, de nourrir les fantasmes et de propager inconsciemment des amalgames.

Comment expliquer que la complexité voulue par le chef de l’Etat fut terrassée en une seule phrase laconique : “Ce à quoi nous devons nous attaquer c’est le séparatisme islamiste” ; alors que bien des séparatismes minent chaque jour que Dieu fait, les fondements mêmes de la maison commune.

Un séparatisme fiscal

C’est cette maison France dont une partie de la population a décidé de faire sécession par évasion fiscale. Ces avares de la Nation qui ne payent plus d’impôts en se soustrayant volontairement à l’effort collectif.

Ce séparatisme est le plus lourd de conséquence en matière économique. Mais il ne méritait probablement pas de longs discours ou de petites phrases assassines.

Il aurait été opportun d’évoquer ce séparatisme économique pour expliquer aux populations les plus fragiles que le Primus inter paresvoulait rassembler la nation autour d’une très belle idée qui est le ciment de notre société : la solidarité.

Certaines mauvaises langues affirmeront que ce séparatisme est l’angle mort de la pensée macronienne, mais il n’en n’est rien. Ce n’est malheureusement que la résultante d’une absence de volonté politique, problème qu’aucun gouvernement n’a voulu régler.

Une évasion tolérée, un séparatisme assumé...

Un séparatisme par le haut qui aurait mérité l’attention du Président de la République, mais cela n’est pas porteur électoralement donc pas exploitable politiquement...

Je sais déjà que certains esprits me rétorqueront que l’évasion fiscale n’a jamais tué personne. Certes ; mais collectivement elle est la cause de bien des ravages sociaux. Et de nombreuses morts indirectes. Un chiffre pourrait nous interpeller ; 100 milliards d’euros par an. Premier budget de l’Etat, non perçu !

La séparation est effectivement consommée. Le séparatisme assumé. 

Un séparatisme social

Faire nation, c’est aussi lutter contre les inégalités et les discriminations qui frappent durement l’ensemble de nos quartiers populaires. Avec un certain franc parler le Président a engagé la responsabilité de l’Etat qui a longtemps, trop longtemps, délaissé ces quartiers : « Nous avons-nous mêmes construit notre propre séparatisme… » et ce dernier d’ajouter courageusement : “C’est celui de nos quartiers...C’est la ghettoïsation. Nous avons construit une concentration de la misère et des difficultés et nous le savons très bien... 

Le droit s’est ainsi séparé de ceux qui en avaient le plus besoin, en imposant une forme de ségrégation économique territoriale et ethnique. Une ligne infranchissable qui a bouleversé des destins.

Ces hommes et ces femmes qui ont été, autrefois, des enfants n’ont jamais été les enfants de la République, mais ils se sont toujours construits comme des enfants illégitimes de la République. Ils ont dû pour la plupart se raccrocher à la misère sociale et culturelle, à l’acceptation des humiliations permanentes, aux conditions de vies misérables, et à l’incertitude sociale pour se créer tout de même une vie, une identité, une cellule familiale parfois dans la continuité de ces inégalités.

Je ne me souviens pas si nous parlions de cette grande absente  de nos vies que nous détestions, presque tous, par manque d’amour réciproque. La République, pour certains d’entre nous, avait pris la poudre d’escampette, à la naissance, sans nous avoir même reconnus.

Le plus dur dans l’injustice ce n’est point de la vivre, c’est d'accepter de ne jamais la quitter et nous en avions déjà conscience.

Cette République que tous les gouvernements successifs brandissaient avec fierté, le torse bombé, avait perdu, chez nous, tout droit de cité. Nous évoquions entre nous toutes ces lois que nous entendions à la télé et qui avaient le malheur de ne jamais illuminer nos vies. Inopérantes et inexistantes, ces lois s’écroulaient devant le hall de nos immeubles. 

Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui cherchent cette République des Lumières (et non pas l’islam des Lumières) car vivre sous les ténèbres du droit est une expérience de vie affreusement cruelle où toute une vie peut se dérober sous le poids des injustices subies. 

Il y a probablement dans cette prise de conscience, tardive mais nécessaire, un chaînon manquant Monsieur le Président, celui de la politique de réparation ; sinon aucune solution ne sera effective.

Quand une injustice est commise, reconnue, et qu’aucune réparation ne s’applique, alors deux injustices s’abattent sur cette dite population. Réparer c’est rétablir ces hommes et ces femmes dans un récit national, dans une mémoire collective, réparer c’est dire que ces vies décimées n’étaient pas veines et que le triptyque républicain accompagnera dorénavant chacun d’entre nous quel que soit sa condition sociale ou son origine territoriale. 

Réparer c’est aussi redonner un sens à l’application du droit et consacrer des budgets significatifs pour re-former des adultes, éduquer correctement des enfants et lutter contre les discriminations en donnant une perspective commune.

La loi qui sera présentée au parlement s’inscrira dans cette longue instrumentalisation de l'islam en France, comme si celui-ci avait aussi égaré en l’espace d’un discours ses particularités, ses nuances et sa pluralité. Ce prisme islam-quartier populaire ne devrait plus constitué un marqueur de sécurisation politique. Parler de langue arabe par le prisme de l’opposition association-école est une manière d’entretenir l’amalgame et de nourrir les confusions. Evoquer pour un Président de la République française un islam des Lumières est une formule assez problématique pour le garant de la neutralité. Il n’y a pas d’islam des Lumières comme il n’y a pas d’islam des ténèbres. Les français de confession musulmane ne se définissent pas exclusivement par leur identité religieuse. Vouloir aussi avoir un droit de regard sur les associations musulmanes est une intrusion malsaine dans ce devoir de neutralité comme celui de vouloir labéliser des imams qui auront pour vocation d’être des agents du ministère de l’intérieur formés par le bras armé de la nouvelle doxa fixée par le CFCM. Une loi qui en voulant neutraliser les ennemis de la République ne ciblera qu’une partie du corps national.

Depuis plus de 20 ans, pas une semaine sans qu’un hebdomadaire ou quotidien ne parle de l’islam en pointant les dérives de l’islamisme. Pas une semaine sans que les musulmans ne ressentent la mise en accusation permanente.

Les mots viendront en remplacer d’autres, d’autres concepts seront probablement façonnés dans les couloirs de certains ministères, mais il faudra rétablir la confiance par la force de la République, toute la République et rien que la République, sans loi d’exception ni politique du soupçon. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.