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Billet de blog 22 septembre 2025

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La France à l'heure de la reconnaissance du drame Palestinien

Dans quelques heures, la France accomplira un geste attendu depuis des générations, un geste que l’histoire elle-même semble réclamer : elle reconnaîtra officiellement l’État de Palestine. Mais si cet acte de reconnaissance n’est pas suivi de sanctions réelles, s’il n’est pas accompagné de mesures fortes contre les crimes commis, alors il restera un geste creux.

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Dans quelques heures, la France accomplira un geste attendu depuis des générations, un geste que l’histoire elle-même semble réclamer : elle reconnaîtra officiellement l’État de Palestine. Ce n’est pas un privilège octroyé, encore moins une faveur accordée à un peuple en souffrance, mais la reconnaissance d’une réalité qui a toujours existé, d’une terre habitée depuis des millénaires, d’un peuple qui a vu son nom et son existence niés, dépossédés, effacés des cartes et des récits.

Lorsque l'Assemblée générale des Nations unies adopta la résolution 181 en novembre 1947, elle affirmait l’idée d’un partage entre deux États, l’un juif et l’autre arabe, sur le territoire de la Palestine historique. Cette décision, portée par l’élan de la reconstruction d’un monde brisé par la guerre et par le souci de donner un refuge à un peuple martyrisé, ouvrit pourtant la voie à une immense fracture. L’année suivante, lors de la proclamation de l’indépendance d’Israël, plus de sept cent mille Palestiniens furent chassés de leurs villages, contraints à l’exil, arrachés à leur terre. Ce fut la Nakba, la catastrophe, qui scella le destin d’un peuple condamné à vivre dans l’exil, les camps et l’attente.

Les décennies qui suivirent ne furent qu’une succession de blessures. La guerre de 1967 transforma l’occupation en horizon quotidien, avec Jérusalem-Est, la Cisjordanie et Gaza soumis au joug militaire, les colonies s’étendant sans fin, grignotant ce qui devait être l’assise d’un futur État palestinien. La première Intifada, éclatée en 1987, fut le cri d’un peuple acculé, enfermé derrière des checkpoints et des murs, demandant simplement à vivre. Les accords d’Oslo, signés en 1993, firent naître une espérance, celle de deux peuples vivant côte à côte, mais cette promesse fut trahie, engloutie par l’intransigeance et la violence, par le silence complice des grandes puissances. Et même lorsque, en 2012, l’Assemblée générale des Nations unies accorda à la Palestine le statut d’État observateur, ce qui aurait pu être un tremplin vers la reconnaissance internationale resta lettre morte, sans effet concret, comme si l’on voulait maintenir un peuple dans l’ombre, suspendu entre existence et inexistence.

Chaque étape de cette histoire est une plaie. Chaque génération palestinienne a grandi dans l’humiliation, chaque famille a connu la perte et l’exil, chaque main arrachée, chaque vie volée, chaque femme violée, chaque blessure inguérissable est devenue le signe d’un monde qui se détourne du droit international. Le droit, qui devait protéger les plus faibles et rappeler aux plus puissants qu’ils ne sont pas tout-puissants, n’est plus qu’un décor fragile, respecté quand il arrange et foulé aux pieds quand il dérange.

Et l’ironie la plus cruelle réside dans cette évidence : l’État d’Israël n’aurait jamais vu le jour sans l’ONU, sans la décision internationale qui lui donna naissance, sans l’élan de solidarité planétaire qui voulait conjurer le malheur de la Shoah. Aujourd’hui, cet État, enfant du droit, piétine l’organisation qui l’a consacré, tourne le dos aux résolutions qui l’ont fait naître, se détourne de l’esprit qui devait l’animer. C’est une trahison de mémoire, une profanation des idéaux fondateurs de l’ordre international.

Reconnaître la Palestine, ce n’est pas un geste symbolique de plus dans le concert des nations. C’est dire que le temps du calvaire est arrivé à son terme. C’est affirmer que la dignité d’un peuple ne peut pas être indéfiniment confisquée. C’est rappeler que les Palestiniens ne sont pas une abstraction ni un peuple fantôme, mais des femmes et des hommes qui ont droit, comme tous les autres, à disposer d’eux-mêmes. C’est un acte de courage, mais c’est surtout une exigence morale, une fidélité à ce que la France veut incarner aux yeux du monde : le refus de l’injustice et la défense de la dignité humaine.

Je n’aurais jamais cru voir de mon vivant un génocide se perpétrer à nouveau sur la terre des hommes, non pas dans le secret des camps ou dans les silences complices, mais au vu et au su de tous, retransmis en direct, filmé, commenté, livré aux consciences comme un spectacle que l’on consomme et que l’on oublie aussitôt. Ce qui rend ce drame encore plus insupportable, c’est que ceux qui commettent aujourd’hui ces crimes sont les héritiers d’une mémoire marquée par l’extermination, d’une mémoire qui aurait dû nous prémunir collectivement contre la répétition de l’inhumanité. Le monde aurait dû apprendre de cette douleur, il aurait dû en être vacciné, et pourtant cette mémoire se retourne, non pour empêcher, mais pour justifier.

La France, en prenant la décision de reconnaître la Palestine, choisit d’assumer son rôle, choisit de rappeler que les principes qui fondent le droit international ne sont pas des incantations creuses mais des obligations, choisit de se tenir du côté de l’histoire qui libère et non du côté de celle qui écrase. Elle dit au peuple palestinien que son existence est reconnue, elle dit au peuple israélien que la sécurité ne peut pas se construire sur l’anéantissement de ses voisins, elle dit au monde que le silence des puissants est une lâcheté qui ne durera pas toujours.

Mais si cet acte de reconnaissance n’est pas suivi de sanctions réelles, s’il n’est pas accompagné de mesures fortes contre les crimes commis, alors il restera un geste creux. Il ne sera qu’un constat d’impuissance devant un massacre continu, il reviendra à reconnaître non pas un État vivant, mais un cimetière à ciel ouvert. Il consacrera non pas l’espoir, mais un génocide accepté par tous, une famine imposée avec la complicité tacite de la communauté internationale, une trahison morale plus lourde encore que le silence.

Et si demain, en France, des voix s’élèvent pour interdire le drapeau palestinien sur les frontons des mairies, si l’on cherche à bâillonner jusque dans l’espace public ce signe de solidarité, alors ce drapeau trouvera d’autres lieux pour flotter. Il flottera aux fenêtres des citoyens, dans les rues, sur les balcons, dans les villages et dans les villes. Il flottera parce que la solidarité ne se décrète pas, parce qu’elle échappe aux interdits administratifs, parce qu’elle naît d’un sentiment plus profond que toutes les injonctions : celui de reconnaître en ce peuple un peuple frère, et dans son combat une part de notre humanité commune.

Reconnaître la Palestine, c’est rappeler au monde que nous ne pouvons pas survivre en tournant le dos à notre propre conscience. Et si les États hésitent encore, les peuples, eux, sauront trouver les gestes qui disent la vérité.

Haidari Nassurdine Président du Conseil Représentatif des Associations Noires de France

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