Il n’y a pas d’explosion de violences
Il n’y a que des personnes, jusqu’alors protégées par leurs privilèges, qui n’ont pas entendu, n’ont pas voulu entendre, ont minimisé, ont préféré s’enfouir dans l’indifférence.
Pas entendu quoi ?
La souffrance de millions (voire de milliards, en dézoomant de la France) « d’autres » qui hurlent depuis des siècles (oui, des siècles, rien de nouveau sous le soleil de la haine) leur douleur et leur terreur.
Les maltraité.es, les écrasé.es, les discriminé.es, de façon systémique et historique, par un collectif qui continue à favoriser des récits de domination insupportables. Par un collectif constitué par NOUS.
NOUS toutes et tous co-responsables.
Il n’y pas de EUX, il n’y a que des NOUS
A ce stade de la transformation, tout à fait prévisible, du champ politique de la France, il est insupportable de voir émerger dans les réactions deux types de EUX.
Le premier, celui de celles et ceux qui ont voté pour le RN, seul.es responsables du basculement de notre pays dans une idéologie d’extrême droite.
Le second, celui pour qui il faut éviter que le RN passe, le EUX discriminé.es.
Ces deux EUX n’existent pas. Ni dans leur pleine responsabilité, ni dans leur pleine pleurabilité, comme dirait Judith Butler. C’est NOUS ou rien.
Ça ne sera que sur la base d’un NOUS co-responsable et interdépendant que la situation pourra être dépassée. Pas sur celle d’une faute exportée sur des boucs émissaires et des actions entreprises pour d’autres, qui n’ont jamais été écouté.es, qui plus est.
Un exemple vaut mieux qu’un long discours
Je parle d’un endroit de discriminations et de souffrances que je connais bien : l’homophobie. Et qui vaut pour toutes les discriminations.
En 2013, j’ai été très impliquée sur le terrain pour le mariage pour tous. Lors de cet embrasement de violence sur un sujet qui n’aurait pas dû en être un, puisqu’il s’agissait d’octroyer le même droit à tout le monde, sans priver personne.
Combien d’insultes avons-nous entendues, combien de crachats avons-nous essuyés, combien de coups avons-nous reçus, souvent abondonné.es par des forces de l’ordre qui nous tournaient le dos ?
Et lorsque je parlais à mes ami.es hétéros, de cette haine, de ma douleur, lorsque je leur montrais l’extraordinaire et terrifiante capacité logistique de ces forces contraires qui pouvaient aussi aisément et massivement se faufiler dans NOS rues, on me répondait invariablement « on est vraiment désolé.es pour VOUS ». Et personne ne NOUS rejoignait dans les manifestations.
Si vous le faites pour NOUS, ce n’est pas la peine
Quand comprendrons-nous enfin qu’un droit que l’on enlève à une personne et un droit que l’on enlève à toutes et tous ? Ce n’est jamais juste un petit bout de NOUS, ce n’est jamais juste EUX, c’est toujours un NOUS indivisible, indissociable et co-responsable. Sans oublier, comme le disait Mandela que « ce qui se fait pour nous, sans nous, se fait contre nous ».
Quand le comprendrons-nous enfin ?
Car NOUS faisons corps. Si le rein se mettait à haïr le cœur, serait-il sage que les poumons se contentent, dans une peine distanciée, d’être désolés pour ce dernier ? Certainement pas, car à terme, tout le corps s’effondrerait. C’est exactement ce que nous vivons aujourd’hui
Tant que cette réalité fondamentale de notre fonctionnement interdépendant ne sera pas intégrée, tant que la douleur de EUX sera traitée avec une compassion distanciée, grâce à la puissance dévastatrice des privilèges, NOUS continuerons à NOUS perdre dans l’ombre, où les chasseurs embusqués de nos haines, attisées par les apprentis sorciers politiques, tireront sur tout ce qui bouge.
En France, cela fait quarante ans que cela se trame (en réalité depuis encore bien plus longtemps). Plus de vingt ans que ce n’est qu’à la faveur des grands rendez-vous d’élections, qui n’ont plus rien de démocratiques, que nous frémissons de peur, apportant nos soutiens à des systèmes de plus en plus oppressifs, pour s’empresser ensuite d’oublier celles et ceux qui se font piétiner.
Réinvestir le personnel et l’interpersonnel, c’est révolutionnaire
Et pendant ce temps, le fantasme du « fuck the system » perdure, tous les regards soi-disant réformateurs hypnotisés par un changement systémique qui n’adviendra jamais, comme aucun « grand soir » non plus, car tout se joue ailleurs.
A quel endroit ? Dans notre changement personnel au service de la qualité de nos relations interpersonnelles.
Mais cet « interpersonnel » a été déserté, bien aidé par des institutions biberonnées au bon vieil adage « séparer pour mieux régner » (car cela fait bien longtemps que l’on n’a rien inventé). En échange d’un « personnel » autocentré sur son changement intime au service uniquement de son bien-être (quand on a l'immense privilège de pouvoir y consacrer du temps et de l’argent).
Créant des hordes d’êtres humains déconnectés les uns des autres, d'eux-mêmes, du vivant et de la réalité tragique de la société. Obnubilés par leur confort personnel et prompts à faire porter la responsabilité des dysfonctionnements sur l’autre, les autres, le fameux enfer sartrien. Mais quelle effroyable erreur, car ce n’est pas EUX mais bien NOUS qui entretenons, avec le souffle de nos exaspérations mal adressées, ses flammes dévorantes.
Encore étonné.es ?