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Billet de blog 4 mai 2020

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Coronavirus: liberté, responsabilité et anxiété

En début de semaine dernière paraissait dans Le Monde une tribune qui titrait « Substituons temporairement au terme “liberté” de notre devise française celui de “responsabilité” ». En fin de la même semaine, Alain Duhamel faisait quant à lui le lien entre peur et responsabilité, se réjouissant que l’anxiété des Français les rendraient plus raisonnables. Court billet d’inquiétude.

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Sans liberté pas de responsabilité (et son contraire)

Petit rappel des faits : quand je suis libre, je peux agir sans contrainte, sans dépendance et en toute autonomie. Quand je suis libre, c’est-à-dire quand j’ai les moyens d’être au monde en lien avec ce qui est important pour moi et sans servitude, je suis par essence dans ma responsabilité. Faire disparaître cette notion de liberté, c’est indirectement assumer qu’elle est liée à des agissements sans queue ni tête, des agissements immatures et égoïstes. C’est avoir une piètre idée de ce que nous sommes en tant qu’êtres humains.

Cela m’évoque la peur qui avait présidé à l’opposition aux congés payés. Il fallait « occuper par le travail » les ouvriers sans quoi ils allaient faire n’importe quoi. La fameuse « oisiveté mère de tous les vices ». Ici, c’est comme si la liberté était un privilège (réservé à peu de personnes, comme tous les privilèges) valide uniquement en période maîtrisée, tandis qu’en temps de crise, elle deviendrait la mère de tous les actes inciviles, nécessitant donc d’être retirée.

Pourtant, sans liberté de penser, d’être, de ressentir, je ne peux pas prendre ma responsabilité. C’est-à-dire assumer que je fais des choix et avoir la pleine conscience de mes actes et de leurs impacts. C’est un cheminement long, complexe, qui nécessite l’accès à toutes mes ressources intérieures personnelles… en toute liberté.

Les substituer l’une à l’autre, c’est les faire disparaître toutes les deux

C’est comme espérer n’avoir que de la lumière et tenter de faire disparaître l’ombre. C’est bien l’existence de cette dernière qui permet l’émergence de la première. Responsabilité et liberté sont les deux faces d’une même pièce. Tenter de les substituer, de les mettre dos à dos, de les opposer, d’arbitrer leur valorisation sociale aboutit purement et simplement à la disparition des deux.

Des êtres humains sans liberté et sans possibilité de prendre leur responsabilité sont terriblement dangereux. Pour eux-mêmes, car ils sont dévitalisés, contraints et coupés de leur humanité. Et pour les autres, par ricochet, pour les mêmes raisons. Dans l’article du Monde, ce qui justifie la proposition de remplacer liberté par responsabilité, c’est de renforcer la sécurité. Cette fameuse sécurité qui nous interroge en permanence et particulièrement en cette période : « Tu veux être libre et vivre dangereusement ou renoncer à certaines libertés et vivre en sécurité? » Question récurrente qui a été à l’origine de bien des réductions de nos libertés individuelles suite aux divers attentats qui ont ensanglanté la France. Comme si cela avait le moindre lien.

Comme si liberté et sécurité étaient des vases communicants qui, mécaniquement, se vidaient ou se remplissaient l’un au détriment de l’autre. Ce qui n’est pas le cas. C’est une effroyable illusion qui tente sans succès de calmer nos cauchemars et détruit nos plus beaux rêves.

L’anxiété et la peur ne sont pas solubles dans la responsabilité

En parlant de cauchemar… La notion de responsabilité a de nouveau été évoquée lors d’une prise de parole d’Alain Duhamel. Selon lui, l’anxiété des Français serait une bonne chose pour qu’ils soient raisonnables (entendre : « qu’ils retournent travailler »). Pour lui, le prérequis de la responsabilité serait donc la peur. Or, les derniers résultats en neurosciences nous apprennent que le stress (et l’anxiété tout comme la peur en produisent de grandes quantités) a sur le cerveau des effets dévastateurs qui rendent les personnes stressées souvent incapables de contrôler leurs émotions, de prendre des décisions et d’adapter leurs attitudes. Quid donc de cette capacité complexe, déterminée et nécessitant un accès généreux à ses ressources internes qu’est la prise de responsabilité ? L’anxiété et la peur ouvrent essentiellement la voie à des comportements de fuite, de sidération, de soumission, d’agressivité, et j’en passe.

Promouvoir la peur et se réjouir de l’anxiété, c’est donc essentiellement compter sur la sidération des Français. Pour qu’à la sortie de cette crise, rien ne change, que la machine à exploiter, écraser, comparer, mettre en compétition, surproduire et surconsommer reparte de plus belle. Et à ce stade où nous sommes si nombreuses et nombreux à avoir compris (ou à commencer à comprendre) que ce modèle est responsable de la situation, certains croient nécessaires de nous effrayer, de nous couper de nos capacités de réflexion, de décision, de notre libre arbitre pour que ce modèle mortifère perdure et pour nous faire de nouveau intégrer les rangs serrés et ravagés de l’ancien monde. Si nous faisons cela, alors oui, nous serons responsables de l’inertie et des crises à venir.

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