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Billet de blog 9 avril 2024

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Le rire serait le propre de l’homme. Parfois, il est aussi le sale.

Petit match de tennis avec balles, pas très neuves, de la marque « on ne peut plus rien dire »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Premier set : le nouveau puritanisme aura notre peau!

Des hordes d’ustensiles de cuisine, pourtant aussi pratiques qu’inoffensifs (les wokes, si vous ne l’avez pas) menacent d’anéantir notre belle civilisation. Transformer le miracle foisonnant de la vie en une morne plaine grisâtre irriguée d’eau au concombre et parsemée de poke bowl en carton recyclé.

Que deviendra cette belle existence, pleine d’opportunités dans lesquelles nous pouvons croquer à belles dents sans modération, comme bon nous semble, sans s’inquiéter des conséquences, si l’on ne peut plus se moquer des tas de graisse, insulter les basané.e.s, dénigrer les bonnes femmes, brocarder les cul de jatte, humilier ces salauds pauvres ?

On ne peut plus rien dire! On ne peut plus rien faire! La liberté d’expression et la liberté d’être soi-même vont mourir d’une indigestion de chou kale !

Ça ne vous fait pas rire?

C’est normal, je me moque, je ridiculise certains propos, j'exagère ou minimise ce que les personnes, excédées par les questionnements sur les discriminations, ressentent. Et c’est très désagréable. J’en suis désolée, mais un peu lasse d’expliquer le phénomène, sans beaucoup de résultat, j’ai pensé à ce procédé : faire expérimenter la sensation. Et il faut relativiser quand même… il n’y a pas mort d’humain.

Contrairement à une blague raciste, par exemple, qui, elle, va utiliser, pour les rendre drôles, les ressorts narratifs d’une souffrance systémique et historique qui a provoqué, provoque et provoquera des centaines de milliers de mort.e.s par an. Ça fonctionne aussi avec le sexisme, l’homophobie, la grossophobie, le validisme, le classisme…

Cette levée de bouclier instantanée contre une simple réflexion, dans un premier temps, sur la façon dont nous nous traitons les un.e.s les autres pourrait faire croire que les êtres humains ne sont capables de se marrer et de vivre leur meilleur vie qu’en se foutant sur la gueule et en faisant tout ce qui leur fait passe par la tête sans se demander si ça risque d’avoir un impact négatif sur les autres et sur le vivant… oh wait !  Non?

Petite anecdote 100% vraie

Lorsque je suis partie de Greenpeace, mes adorables collègues m’ont organisé une petite fête (forte probabilité, en partageant cet épisode, de déclencher des « Quoi !! Vous avez rien d’autre à faire alors que la planète brûle » ?) et ont écrit pour l’occasion un faux Magazine Greenpeace dont le titre principal était « Grâce à Nathalie Achard, le monde est en paix et le monde s’emmerde ». Drôle… et préoccupant.

Une fois encore, cela prouve que toutes ces indignations autour du droit de rire de tout (et en arrière plan de faire ce que l’on veut et un point c’est tout- taper du pied par terre à ce moment précis) ne sont pas anecdotiques. Elles sont fondamentales car elles interrogent férocement notre réelle capacité à changer en profondeur et certainement notre peur panique de perdre nos bons vieux jouets de tortionnaires.

Deuxième set : pourtant j’ai un.e pote homo qui adore les blagues homophobes

Et c’est vrai, il arrive bien souvent que les personnes discriminées rient ou même soient à l’origine de blagues qui mettent en scène leurs discriminations. C’est terriblement triste, car c’est la manifestation de deux phénomènes qui tendent vers le même espoir : la survie.

Premier phénomène : ce que l’on nomme les discriminations intégrées. Tellement intégrées qu’elles finissent par « disparaître », pense-t-on. Le déni, pour s’éviter la souffrance, de la même façon que le cerveau choisit la dissociation, lorsque nous traversons des émotions trop difficiles à gérer. Hélas rien ne disparaît. Ce refoulement, s’il perdure, provoque des troubles de la santé aussi bien mentale que physique très préoccupants.

Le second phénomène : la stratégie de séduction. Séduire le bourreau, le dominant pour espérer, au mieux, obtenir un meilleur statut, a minima, être moins abimé.e. C’est bien évidemment, toujours un marché de dupes.

Troisième set : mieux vaut en rire qu’en pleurer, non?

Pour finir les questionnements plus généraux sur les fonctions du rire. Comme si le fait qu’il serve à se protéger (ce qui signifie que les personnes sont en danger et cette réalité préoccupante, en général, n’est pas interrogée) lui offrait une carte d’accès illimitée à tous les sujets. A ce moment là, même s’il est un peu daté, je ne résiste pas à l’envie d’inviter mes interlocuteurs et interlocutrices à (re)lire Le rire de Bergson.

Pour y découvrir, entre autre, que rire est un vigoureux agent de normalisation, et par effet de vase communiquant, d’exclusion. Le rire SUR est un ciment puissant qui permet à des individus de se reconnaître, de créer de l’affinité et de la sécurité en stigmatisant par la moquerie, le mépris, l’humiliation « l’autre », le « pas comme nous ». Cela me fait immanquablement penser aux relations interpersonnelles du collège. Cette si belle et si inspirante période de nos vies… Cela signifierait donc que nous ne sommes toujours pas sorti.e.s de cette époque ? Même si l’acné a (peut-être) disparu ?

Dans ces conditions, ne serait-il pas peut-être parfois préférable de pleurer sur nos résistances à respecter et à prendre soin de l’autre pour se donner une véritable chance d’évoluer?

Oui, je sais, le principal obstacle, c’est que ce n’est pas drôle.

Balle de match.

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