Nathalie Achard (avatar)

Nathalie Achard

Abonné·e de Mediapart

30 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 mars 2020

Nathalie Achard (avatar)

Nathalie Achard

Abonné·e de Mediapart

Covid-19 : le yoga et les pâtes fraîches, nouveaux objets de haine

J4, alors que nous sommes à peine embarqués sur le frêle esquif du confinement collectif, les réseaux sociaux débordent de propos agressifs et de jugements péremptoires sur les stratégies des uns et des autres pour traverser ce moment inédit. Décryptage.

Nathalie Achard (avatar)

Nathalie Achard

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« J’ai envie de leur répondre qu’on n’est pas obligé d’agresser les gens sur Twitter »

Hier, j’ai reçu ce SMS de mon amie L. (qui m’a donné l’autorisation de partager dans ce billet son questionnement) : « Bonjour ma Nath. J’espère que tu es bien confinée et bien entourée. Ce matin, Twitter n’aime plus les gens qui font du yoga chez eux ni des pâtes fraîches. Je me sens visée. Un peu. Est-ce que faire du yoga et aimer faire des pâtes fraîches nous définit maintenant comme des vacanciers ? Privilégiés, d’une certaine manière, oui. En tout cas, moi, je me sens privilégiée de savoir que oui, le yoga m’aide à moins stresser, à moins voir tout en gris et à me sentir moins angoissée. Pour autant, je commence à compter les jours sans travail et, même si je ne peux rien y faire en ce moment, j’ai envie de leur répondre qu’on n’est pas obligé d’agresser les gens sur Twitter juste parce qu’on fait du yoga. »

Un cas parmi tant d’autres. Un petit passage sur les pages Facebook de différents collectifs de quartier regorgent d’empoignades virtuelles à la Don Camillo (pour les plus policés). Comme cette dame qui demande : « Où puis-je acheter des géraniums ? » et qui déclenche un débat enflammé fait de : « Quelle inconscience ! » « Elle a le droit d’avoir un balcon fleuri ! » « J’ai bien le droit de penser ce que je veux ! » etc.

Premier exercice : ne rien prendre personnellement

Le plus douloureux, c’est en effet de se sentir visé personnellement. Si je confonds qui je suis et mes choix de vie (jusqu’à les rendre identiques), je prends le risque de vivre beaucoup de souffrance quand ces derniers sont mis en accusation. Prenons le cas du yoga et des pâtes fraîches. Si je pense que ces choix me définissent pleinement, il est très douloureux de lire des propos que je qualifierais alors de désobligeants. Il est important de se rappeler que je ne suis pas responsable de l’état émotionnel de l’autre. Si le fait que je fasse du yoga ou des pâtes fraîches met mon interlocuteur dans un état de rage, c’est son affaire, son histoire.

Deuxième exercice : se rappeler que l’autre me parle d’elle ou de lui

Oui, celle ou celui qui juge sans ménagement mes pratiques personnelles me parle de sa vision du monde, de sa façon de penser ce qui est bien ou mal et, par-dessus tout, de ses peurs et de ses incompréhensions. Rappelons-nous que la peur est une conseillère qu’il faut écouter avec prudence lorsqu’il s’agit de la relation à l’autre. Elle ne me permet pas de chercher à savoir ce qu’il se passe pour elle ou pour lui (comme cette inquiétude qui étreint mon amie au sujet de son travail). Parfois, cette mise à distance est nécessaire pour éviter la violence de l’autre, c’est vrai. Et la plupart du temps, elle est inutile, voire coûtante. Quand je suis dans le jugement, seul mon point de vue compte, et l’autre doit s’y conformer ou disparaître.

Troisième exercice : prendre pleinement ma part de responsabilité

Enfin, oui, je me rappelle que je suis responsable de ce que je fais. Nous avons toutes et tous cela en commun : toutes les actions que nous menons sont faites pour nourrir un ou plusieurs besoins. Et tout ce que nous faisons a un ou plusieurs impacts à différents niveaux (personnel, interpersonnel et systémique) et nécessite toutes sortes de ressources. Il n’est pas question de se justifier ; cela ne ferait qu’entraîner la roue infernale des débats d’opinion, impasse tragique à toute créativité. Oui, j’ai le privilège d’avoir l’espace, la forme physique, la ressource (toit, eau, électricité, matériel) pour faire du yoga chez moi et des pâtes. Oui, je sais que ces ressources ne sont pas accessibles à toutes et tous. Cela peut me rendre triste, préoccupée et m’inviter à me demander ce que je peux faire (à quoi je peux contribuer) de cet accès privilégié pour le mettre au service de toutes et de tous. Attention, toutefois, de ne pas partir dans cette quête de contribution les poches pleines de culpabilité et dans l’attente d’être remerciée ou récompensée. Sans quoi cette exigence faite à moi-même (payer ce que je considère alors, par le prisme de la culpabilité, comme ma « dette » sociétale et culturelle) ou à l’autre (recevoir de la gratification) aura un coût colossal dans la relation.

Et maintenant comment répondre ?

Ma chère L., je te conseillerais donc (si je peux me permettre) de ne pas prendre pour toi ce qui est dit et partagé sur les réseaux sociaux. Et si tu en as l’énergie, voici une proposition de réponse que tu pourrais faire si tu en ressens le besoin :

« Je lis que la pratique du yoga et la fabrication des pâtes fraîches sont insupportables pour vous. Peut-être est-ce parce que vous êtes en lien avec le fait que c’est un privilège de pouvoir accéder à tout cela ? Et que cela vous inquiète, car nous ne sommes pas toutes et tous capables d’avoir accès à cette ressource ? Je comprends tout à fait. Je sais que j’ai ces privilèges. De mon côté, je les utilise pour vivre au mieux ce moment stressant. Je suis autoentrepreneuse, mon activité s’arrête, ma sécurité aussi bien financière que sanitaire est mise à mal. Le yoga et les pâtes sont ma façon de négocier avec certaines angoisses. Et cela ne m’empêche pas d’être consciente de la situation très problématique que vivent d’autres personnes. J’aimerais dans ces moments difficiles vivre plutôt de la compréhension mutuelle que de la comparaison et de la culpabilisation. »

Si vous avez envie de continuer à travailler (affiner, renforcer, initier) une posture non violente pendant cette période hors norme, racontez-moi vos doutes et vos difficultés (dans les commentaires) et je tenterai de vous proposer un point de vue pacifié et pacifiant. C’est toujours plus facile en s’aidant.

Par Nathalie Achard

Nathalie Achard a été chargée de communication chez Greenpeace, directrice de campagne de SOSMEDITERRANEE et directrice de la communication du Mouvement Colibris. Médiatrice et facilitatrice, elle organise aujourd'hui des formations à la non-violence au sein d'associations, anime des stages de responsabilisation et de restauration du dialogue en prison, et soutient les collectifs innovants pour favoriser la coopération. Autrice de « La Communication NonViolente à l’usage de ceux qui veulent changer le monde », Marabout, février 2020

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.