Sa nomination sous la présidence de François Hollande en 2014 comme défenseur des droits avait fait polémique en raison de certaines de ses positions. S'il fut l’un des seize députés RPR (sur 88) ayant voté l'article abolissant la peine de mort, en 1981 (même s'il ne vota pas l'ensemble de la loi contenant cet article), cette prise de position fut ensuite éclipsée par des fidélités chiraquiennes qui le conduisirent à des actes plus que contestables : par exemple, l'affrètement, alors qu'il était garde des Sceaux, d'un hélicoptère au Népal pour joindre un procureur en vacances et sauver l'inénarrable Xavière Tiberi, grassement rétribuée pour un rapport truffé de fautes d'orthographe. Chacun fouilla, alors, dans ses archives, pour retrouver d'autres preuves de turpitudes inconciliables avec la fonction qui allait être la sienne.
C'est donc peu de dire que le choix de Jacques Toubon n'était pas d'évidence et devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, il avait dû godiller ferme pour rassurer les uns et convaincre les autres. Force est aujourd'hui de constater qu'il aura occupé sa fonction en honnête homme.
Son dernier rapport portant sur l'année 2018, présenté le 12 mars dernier, cartographie d'une société qui semble rejoindre celle décrite par les GJ (services publics qui disparaissent, augmentation des inégalités, régression des droits fondamentaux, discriminations, harcèlement), fait grincer quelques dents. Dans la presse, chacun y fait un peu son marché mais à l'heure du vote de la loi "anticasseurs" on y trouve en particulier cette pépite : "Telle une pilule empoisonnée, le régime d’exception de l’état d’urgence (...) est venu contaminer progressivement le droit commun, fragilisant l’État de droit ainsi que les droits et libertés sur lesquels il repose. Les évolutions juridiques mises en place, avec la multiplication des incriminations visant des actes préparatoires et l’affirmation de nouvelles finalités préventives de la loi pénale ont contribué à brouiller la distinction entre police administrative, tournée vers la prévention, et police judiciaire, orientée vers la répression. La diffusion de cette logique « par capillarité dans plusieurs branches du droit », amorcée pour faire face à une situation d’exception a contribué à poser les bases d’un nouvel ordre juridique, fondé sur la suspicion, au sein duquel les droits et libertés fondamentales connaissent une certaine forme d’affaissement, fragilisés par des mesures sécuritaires visant notamment à développer le contrôle dans l’espace public."
On conçoit que l'homme ait fini par agacer les "suce-pieds" ou "nains de jardin", pour reprendre les mots de l'avocat François Sureau, qui font la loi à l'Assemblée Nationale.
Pour ceux que cela intéresse, l'intégralité du rapport est ici :
https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports-annuels/2019/03/rapport-annuel-dactivite-2018
Pour une version courte, le dossier de presse est là :
https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/dp-raa18-num_08-03-19.pdf
Pourquoi je parle de cela ? Parce qu'à l'heure des évaluations tous azimuts, ce document constitue une mesure non négligeable de l'impact sociologique des politiques publiques et témoigne accessoirement de l'évolution singulière d'un homme qui, conservateur pur et dur quand il était "aux affaires", s'est en quelque sorte "socialisé" en exerçant sa fonction défenderesse. Comme quoi il ne faut jurer de rien.
A l'heure où son mandat touche à sa fin (le mandat de défenseur des droits non renouvelable est de 6 ans) et où fleurissent les nominations de complaisance (pour ne pas expressément désigner celle du procureur de Paris), on a quelques raisons de s'inquiéter de celui ou celle qui lui succèdera. A moins que ce "il" ou "elle" ne se lâche à son tour...reprenant à son compte le rôle de mauvaise conscience législatrice voire d'emmerdeur institutionnel dont les apostrophes, malheureusement souvent peu suivies d'effet au niveau politique, ne tombent cependant pas toujours dans le vide.