Shiraz, j'ai pris ces photos en octobre 2005. Mahmoud Ahmadinejad avait été élu Président de la République Islamique quelques mois plus tôt mais il flottait encore dans l'air quelques restes de l'ouverture initiée par son prédécesseur Mohammad Khatami.
La parenthèse n'allait pas tarder à être refermée.
On fêtait, ce jour là, le poète Hafez, né environ 680 ans plus tôt, dans le jardin abritant sa tombe. De nombreux jeunes et moins jeunes s'étaient réunis là, un recueil de ses œuvres entre les mains. Notre guide nous avait expliqué le singulier rituel qui nous était donné de voir : les Iraniens posent une question concernant leur futur à Hafez, puis ouvrent son "Divan" au hasard, le poème sur la page ouverte pouvant alors être interprété comme signifiant la réponse à la question.
Ces jeunes filles partageaient-elles les réponses ou les questions ou simplement le plaisir de se retrouver ?

Et que penser de cette jeune femme à l'air attentif et imperceptiblement inquiet ? L'homme connaissait-il par cœur le sens de sa destinée ?

Au bout d'un moment, notre présence avait suscité la curiosité et nous avions moins échangé sur Hafez que sur nos vies respectives. En anglais. Que toutes ces adolescentes parlaient fort bien.

Cela m'avait frappée dès l'arrivée dans ce pays : la jeunesse. Le seul endroit où j'avais éprouvé ce sentiment était le Vietnam. Une raison commune sans doute : la guerre qui avait effacé de la carte démographique toute une génération. N'ayant pour la plupart connu que la théocratie Khomeiniste, on sentait chez ces jeunes un désir assoiffé d'en sortir. De s'évader. Peut-être de s'en défaire mais le mot n'était pas prononcé.
Je regarde ces photos en me disant qu'elles témoignent d'un temps, pour l'heure, révolu. Ces jeunes filles qui portaient leur voile en laissant dépasser leurs cheveux sont aujourd’hui en danger.

Je pense aussi à ces petites de l'âge de 5 ou 6 ans qui 17 ans plus tard, ont, peut-être, arraché leur voile et se sont peut-être coupé les cheveux dans un geste de défi. Puissent-elles n'être pas parmi celles-là actuellement incarcérées dans des conditions qu'on n'ose imaginer car on serait en deçà du réel.

Rétrospectivement, je me demande aussi si Hafez figure encore dans les lectures autorisées, lui dont l'univers charnel, ambigu, où l'ivresse côtoie l'amour physique et les observations de la vie quotidienne, entend se conjuguer avec l'élan spirituel.
Sans l’éclat de Ton visage
mon jour n’a plus sa lumière,
Hormis la nuit la plus noire,
de la vie rien ne me reste
Hafez : Cent un ghazals amoureux