On se savait oublié.e.s du gouvernement, de notre ministère et des élu.e.s. Maintenant ça va mieux, nous ne sommes plus oublié.e.s, on a parlé de nous à l’Assemblée. Pendant longtemps ! Au moins 2h30 ! Bon surtout après 21h30… Peut être sur une journée réservée aux propositions de lois du PS... Et peut être qu’il n’y avait que 80 personnes dans l’hémicycle. Mais au moins on est plus oublié.e.s ! Quel soulagement !
Maintenant c’est bien ! Maintenant c’est mieux ! Maintenant on est plus oublié.e.s, on est juste méprisé.e.s et la distinction est importante ! Notez le ! Et quel plaisir d’avoir passé de longues heures à regarder le direct de l’Assemblée. D’avoir vu les parlementaires refuser une revalorisation du SMIC. De s’être rempli les oreilles d’une douce mélodie néolibérale bourgeoise et d’avoir trinqué à chaque fois qu’un ou une ministre annonçait le maître mot : « défavorable ».
Toute cette longue attente pour voir, les uns et les unes après les autres, les parlementaires monter à la tribune pour dire à quel point AESH et AED étaient indispensables au bon fonctionnement de l’ensemble du système scolaire. Parfois allant jusqu’à nous comparer aux personnels soignants, applaudi à 20h pendant le premier confinement. Nous avons vu l’entrain, l’engouement et la détermination à proposer cette loi et même plus à travers les amendements. Mais nous avons vu aussi, chez certain.e.s, les gouttes d’hypocrisie perler le long des fronts.
La pommade bien étalée, l’espoir sortait enfin du fond de nos verres remplis de bière tiède pour aller jusqu’à tirer, chez certain.e.s d’entre nous, l’esquisse d’un sourire. Et cela même si Michèle Victory (cette rabat joie) entamait sa présentation par le constat d’une proposition de loi aussi proche de l’originale qu’une classe de 6ème depuis le retour des ibizesques vacances de notre alopécique ministre. Mais l’espoir n’a pas de gros bras et il repartit bien rapidement au fond de nos auges dès les premières discussions autour des amendements.
Il ne nous a pas fallu longtemps pour comprendre que notre précarité, que nous pensions avoir été dénoncée dans les premières discussions, semblait nous aller à ravir pour la ministre, dont le défilé d’arguments, aussi nauséeux qu’absurdes, n’étaient coupés que par les grognements d’un François Ruffin gonflé à bloc pour l’occasion. Reprenant sans sourciller un développement au préalable démonté par la rapporteuse socialiste, la ministre Nathalie Élimas, remplaçante de notre Stephen King protocolaire, a su, avec un sang froid incroyable, accumuler immondices et dédain pour les deux pseudo-professions que nous exerçons au contact de l’avenir de notre monde climatiquement condamné.
De cette gueule cassée de projet de loi, survivant d’une sanglante commission parlementaire, deux choses nous tenaient particulièrement à cœur. Car faute de rien, autant se contenter de quelque chose. La première concernait l’accès aux primes REP et REP+ pour les AESH et les AED et la seconde, la possibilité d’accéder à des CDI pour nos deux professions. Des deux propositions nous n’avons obtenu que le CDI, et encore il faut voir les modalités. Au bout de trois ans pour les AESH et de 6 ans pour les AED. Peut être que nous devrions songer à contacter le Guinness World Record pour la période d’essai la plus longue de l’histoire du code du travail.
« De quoi avez-vous peur en proposant directement un CDI à ces personnes ? » demandait celle qui risque bien de devenir notre socialiste préférée. Une excellente question, restée sans réponses, et laissant en nous un goût amer malgré une première avancée dans le cadre de nos revendications. Mais tout cela ne pourra pas nous faire oublier la grande humiliation que nous avons prise de plein fouet durant cette soirée : le refus des primes pour les AESH comme pour les AED. Pour les premières (car ce sont à 93 % des femmes) cela « créerait de la concurrence et éloignerait les AESH de leur fonction première qui est de s’occuper d’enfants en situation de handicap » (et non pas d’« handicapés » comme n’a cessé de le dire Emmanuelle Anthoine). Ça serait quand même bête d’en faire sortir quelques unes d’en dessous du seuil de pauvreté alors que le ministère vient de permettre l’intervention du privé dans les établissements pour l’encadrement du même public. Soyons raisonnables voyons ! Elles ne font même pas vraiment partie des équipes. Tout comme nous autres AED, qui sommes toutes et tous des étudiant.e.s et n’avons pas du tout une moyenne d’âge de 30 ans. À quoi bon nous fidéliser et assurer la stabilité de nos équipes, puisque c’est ce à quoi servent les primes selon la ministre. C’est vrai que nous ne sommes que les « piliers » d’une Éducation Nationale soumise à rude épreuve par la situation sanitaire comme se plaisaient à nous le rappeler quelques minutes auparavant nos bien-aimé.e.s représentant.e.s.
Alors si nous avons définitivement enterré la dépouille putréfiée de nos espoirs après le « Cependant... » de notre chargée de l’Éducation prioritaire, au moins nous ne sommes plus oublié.e.s. Nous nous savons méprisé.e.s. Et cette longue soirée nous aura au moins permis d’agrandir la liste des personnes à qui nous ne souhaitons pas le bien mais pas le mal non plus car, du fond des cadavres de nos boissons premier prix, ils et elles auront ravivé la flamme d’une révolte et d’un engagement profond que nous porterons plus que jamais dans la suite de notre mobilisation et de nos revendications. Un jour nous les aurons, nos métiers « décents » !