 
    Le 1er Mai 1886 la grève générale est proclamée aux États-Unis pour revendiquer la journée de huit heures. Une manifestation organisée par des militants anarchistes à Chicago se heurte à la police, à Haymarket Square, au moment de la dispersion. Une bombe explose tuant un policier. Sept autre mourront au cours de l'affrontement qui suit.
Cinq militants anarchistes sont arrêtés dont il convient ici de rappeler les noms : Albert Parsons, Adolph Fischer, George Engel, August Spies et Louis Lingg. Ils sont condamnés à mort. Quatre seront pendus le 11 novembre 1887 (Black Friday) malgré l'absence de preuves. Louis Lingg se suicide dans sa cellule.
L'histoire reconnaîtra rapidement qu'ils sont innocents et la justice américaine elle-même émettra le soupçon d'une provocation policière. C'est ainsi que le 1er Mai devient un peu partout dans le monde la Journée Internationale des travailleurs qui n'a rien à voir avec une fête du travail qui existe depuis le dix huitième siècle, me dit-on, ni avec le muguet de printemps mais plutôt avec l'églantine rouge qui rappelle la fusillade de Fourmies, un autre 1er Mai revendicatif, celui de 1891.
Voici donc un détournement de l'histoire qui dévoie un mouvement de grève revendiquant la journée de huit heures, c'est-à-dire moins de travail en une célébration, une mythification et une sacralisation du travail.
Mais de quel travail s'agit-il ? Ce travail est-il opus (œuvre), labor (travaux serviles et douloureux) ou tripalium (tourment, supplice) ? Il s'agit évidemment de ce labeur, ces travaux serviles, asservissants, ceux que nul ne choisirait d'accomplir s'il avait le choix.
Le 1er Mai 1886 est donc l'acte fondateur du syndicalisme révolutionnaire tel qu'exprimé dans la Charte d' Amiens de 1906 (neuvième congrès de la CGT) qui fixe comme objectif du syndicalisme la transformation de la société par l'abolition du salariat et du patronat et qui se prononce, en attendant, pour la revendication d'améliorations immédiates. Cependant le premier terme de l'alternative a rapidement été effacé, très naturellement, par le deuxième.
De sorte que le syndicalisme réformiste issu de l'action privilégiant le deuxième terme, les améliorations immédiates, a contribué à institutionnaliser le syndicalisme en tant que « partenaire social » ce que Pierre Monatte, militant paradigmatique de la CGT, analysait en ces termes dès 1920 : le syndicat est devenu un rouage du fonctionnement social capitaliste.
En participant à cette sacralisation du travail-labeur, du travail aliéné et aliénant, en oubliant le caractère révolutionnaire du 1er Mai 1886, le syndicalisme-partenaire social n'est pas sans responsabilité quant à la perpétuation d'un système social inique. Pour autant il ne peut pas être question de nier les « améliorations immédiates » mais de remarquer que c'est là la contradiction constitutive du syndicalisme de la Charte d'Amiens.
En ce temps de confinement qui nous place face à une nouvelle et redoutable alternative celle du « comme avant » vs « demain autrement », il est primordial que les organisations syndicales (mais aussi toutes les organisations militant pour un autre demain) se souviennent de leur origine et laisse au président du vieux monde la responsabilité du cynisme dont il vient de faire preuve, une fois de plus, au cours de son discours mystificateur sacralisant le travail ce 1er Mai 2020.
 
                 
             
            