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Billet de blog 1 septembre 2017

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E. Macron : du mépris à l'injure...

Il y a quelque chose de l'ordre du mépris, peut-être même de l'injure, dans certains propos présidentiels adressés à "ceux qui ne sont rien". Et tout cela au nom du fameux "mérite"...

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Les salariés sont des illettrés (septembre 2014)…

Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaire (janvier 2015)…

Le meilleur moyen de se payer un costume, c’est de travailler (mai 2016)…

Une gare c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien ( juin 2017)…

 Ne dirait-ont pas que ces quatre citations, prises dans l’ordre chronologique, dessinent les contours de la construction sociale proposée par leur auteur ?

Voyons : « Les salariés sont des illettrés ». D’où il vient que ces hommes et ces femmes qui vendent leur « force de travail » en échange d’un salaire ne méritent pas mieux que ce qu’ils ont, que ce qu’ils sont, c’est-à dire selon la quatrième proposition : rien. Pis encore, salariés et illettrés, ils sont moins que rien.

Notons derechef que vient de surgir inopinément la notion de « mérite » qui se donne comme cause et sanction de la condition dans laquelle se trouvent ces salariés illettrés. Comment quelqu’un qui n’est rien pourrait-il mériter quoi que ce soit ? C’est en effet le rôle social de la notion de mérite que de légitimer l’inégalité sociale : ils ne méritent que ce qu’ils ont !

A l’inverse il est bien sûr des femmes et des hommes qui sont méritants et sont les destinataires d’un revenu et d’indemnités d’on ne sait quelle sorte mais qui sont bien méritées. La question qui se pose alors est celle de savoir d’où leur vient ce mérite que d’autres,  les illettrés, ne méritent pas.

Supposons qu’ils soient dotés d’une intelligence remarquable, de talents exceptionnels, d’une volonté à toute épreuve, d’une force de travail extraordinaire… Mais d’où leur viennent tous ces dons ? D’un Dieu tout puissant ? Du contexte social dans lequel ils ont vu le jour ?

Prenons le cas de la « volonté » qui pointe son nez dès qu’il s’agit de mérite : comment se fait-il que certains en soient largement dotés alors que d’autres en sont privés ? Et d’où vient cette volonté sinon d’une volonté antérieure laquelle procède à son tour d’une volonté antérieure ? Et, poursuivant ainsi, ne voit-on pas que l’on ne saura jamais ce qu’il en est de la volonté inaugurale et que l’on retombera toujours dans  le fameux trope de la « régression sans fin » ?

 Spinoza nous le dit : « Il n’y a dans l’âme aucune volonté absolue  ou libre, mais l’âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre, et cette cause, l’est à son tour par une autre, et ainsi à l’infini. ».

Ce à quoi on peut ajouter pour faire bonne mesure :

« Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres ; et cette opinion consiste en cela seul qu’ils ont conscience de leur action et sont ignorants des causes par où ils sont déterminés. […] Pour ce qu’ils disent en effet que les actions humaines dépendent de la volonté, ce sont des mots auxquels ne correspond aucune idée car tous ignorent ce que peut être la volonté et comment elle peut mouvoir le corps » (Ethique, scolie de la proposition 35, 2e partie).

De sorte que l’on ne pourra échapper à cette apostrophe paulinienne :

« Qui te distingue en effet ? Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu pourquoi  t’enorgueillir comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (Paul, Corinthiens, 4,7).

Mais alors si Paul et Spinoza ont raison, quelles justifications trouver à ces rétributions démesurées quand d’autres, les « illettrés », doivent se contenter, pour ainsi dire, d’un minimum vital. Sachant en outre que sans le travail des moins que rien, de ces domestiques de toutes sortes, ceux qui réussissent ne réussiraient pas, trop occupés qu’ils seraient aux inéluctables tâches domestiques.

Ne serait-il pas curieux de voir un jour tous les domestiques et autres producteurs de biens et de services cesser leur travail, cesser leur activité et observer ce que deviennent leurs maîtres… ?

Passons. Car voici que pointe, accompagnant la notion de mérite, celle de  « travail » avec cette nouvelle apostrophe présidentielle :

 « Le meilleur moyen de se payer un costume, c’est de travailler… ».

 Le travail, voici donc une notion et un acte que ce président connaît bien puisque, dit-on, il est un gros travailleur. Si ce n’est que lui tout simplement ne travaille pas, ce qu’il sait mieux que quiconque car comme ancien assistant de Paul Ricœur, qui préfaça le livre de Hannah Arendt sur le travail, il sait que celle-ci établit une très nette distinction entre « travail », « œuvre » et « action ».

Il sait mieux que quiconque, lui qui est né et n’est jamais sorti de la « sphère de l’action » que Hannah Arendt définit comme étant celle de la parole, celle du politique où le sujet débarrassé par ses multiples serviteurs  des soucis domestique du quotidien s’adonne corps et âme à la parole, à l’action, à la politique.

Et c’est ainsi que désignant par le vocable « travail » une multitude d’activités (des plus rudes tâches mal rétribuées au jubilatoire maniement de la parole) il ajoute la pierre angulaire à la construction sociale qu’il prétend bâtir : la « société du travail ».

Et puis enfin, il faut bien rappeler, pardon de le dire ainsi, cette stupidité peu digne :

 « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir millionnaires ».

 Outre l’absurdité intrinsèque d’un tel propos qui consacre le projet d’une société inégalitaire, ce souhait nous dévoile le troisième pilier après le mérite et le travail sur lequel repose la société non pas future mais qui est déjà là : l’argent.

Comment alors cette construction sociale ne serait-elle pas celle du mépris (des salariés), des élites autoproclamées et de l’injure, de l’injure à la multitude de celles et de ceux qui n’ont pas et n’auront jamais ni mérite ni argent pour, du haut de celui-ci, pouvoir mépriser le monde.

Enfin le dernier pilier est celui de l’autorité que Hannah Arendt décortiqua dans un texte remarquable. On se souvient : « Je suis votre chef ! ». Seulement, raconte la philosophe, imposer son autorité par la coercition, l’argumentation et la négociation, c’est précisément mettre en évidence que l’on n’a pas d’autorité, cette autorité naturelle reconnue par tous car elle s’impose d’elle-même. S’abaissant à rappeler ce qui devait être évident, il confesse qu’il ne dispose pas de l’autorité  qu’il croyait avoir, cette autorité naturelle qui n’a nul besoin de se dire.

Et au frontispice, ceci :

« La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude […]. Dans la politique française cet absent est la figure du roi dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort » (8 juillet 2015).

Et si cette « incomplétude » était l’essence même de la démocratie, cette ouverture vers la délibération permanente en l’absence d’autorité venue d’ailleurs… ?

Quant à savoir si le peuple a voulu ou non la mort du roi, qu’était-ce donc que ce peuple ? Celui des illettrés peut-être bien…  

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