Pablo Iglesias après avoir été le chef incontesté du parti Podemos issu du mouvement des « Indignados » de la Puerta del sol de Madrid le 15 mai 2011 et s'être donné comme mission le pétrissage de l'hégémonie culturelle selon «Saint Gramsci » enfila une veste, noua une cravate et fit son entrée au gouvernement de l'Espagne en tant que vice-président second du socialiste Pedro Sanchez.
Puis à la suite d'un échec électoral à Madrid il se défit de veste et cravate pour s'adonner à ses premières amours : le journalisme. Activité celle-ci où son incontestable talent de pédagogue et de communiquant peut s'exprimer pleinement au service de l'édification de cette hégémonie culturelle de gauche contestant le déterminisme du marxisme orthodoxe selon lequel les contradictions internes de l'économie capitaliste accoucheraient inéluctablement d'une prise de conscience (de classe) des masses, etc. etc.
Après avoir animé de multiples débats sur « La Tuerka » et « Fort Apache » il crée le 6 mars 2023 une chaîne de télévision gratuite « Canal ReD » financée par crowdfunding dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle bénéficie, depuis le tout début de son émission quotidienne « La Base », d'un succès fulgurant, succès qui s'étend à l'Amérique latine (particulièrement l'Argentine, le Mexique, la Colombie...) et jusqu'aux Etats « hispanohablantes » des USA.
Cet indéniable succès est dû, outre le talent des jeunes journalistes ( Ina Afinogenova, Irene Fugasti, Manu Leving) dont Iglesias a su s'entourer, à un engagement politique affirmé par une ligne éditoriale militante de soutien à Podemos en Espagne et aux président(e)s progressistes d'Amérique latine (Claudia Sheinbaum, Gustavo Petro...) et de soutien indéfectible (pour l'instant) à Mélenchon.
C'est ainsi que dans un éditorial de son journal en ligne « Diario Red » (01 avril 25) intitulé « Attention à ce que nous applaudissons » (Cuidado con lo que se celebra) Iglesias analyse et justifie la position de LFI selon laquelle « La décision de destituer un élu devrait revenir au peuple. » autrement dit la justice n'a rien à faire dans les malversations commises par des élus qui plus est par de futurs candidats à la magistratures suprême, seul le peuple, etc. etc. Ce qui confine au populisme le plus extravagant et, à cet égard, on ne dira jamais assez combien est détestable pour toute démarche d'émancipation l'extravagance théorisante de Chantal Mouffe et Ernesto Laclau devant laquelle se sont extasiés Iglesias et Mélenchon.
Mais alors comment expliquer cette errance théorico-politique de nos deux « compañeros » ? Mon hypothèse est celle de ce « caudillismo » auquel je faisais allusion ci-dessus, de cette croyance (croyance en effet) à la nécessité d'un être extraordinaire pour éclairer le peuple (« la gente » dit-on tras el Pirineo), un être dont la prestance narcissique et les discours subjuguent les auditeurs, un être enfin auquel peut s'identifier le commun des mortels, bref un « caudillo » au sens zapatiste du terme, un guide sous la conduite duquel adviendra un homme nouveau dans un monde apaisé.
Ces références à l'Amérique latine ne sont pas arbitraire quand on sait combien l'histoire de ces pays a fasciné Iglesias et ses anciens camarades Errejón et Monedero, co-fondateurs de Podemos, quand on sait que le plus illustre de ces caudillos, Fidel Castro, a fasciné Mélenchon malgré les crimes commis au nom de la « Revolución ». A qui douterait de ces crimes je me permets de signaler quelques lectures édifiantes : « La lune et le caudillo » de Jeannine Verdès-Leroux, sans doute l'étude la plus documentée sur Cuba et Castro – le « CHE » de Pierre Kalfon, peu suspect d'anticommunisme primaire - « Et la nuit est tombée... » de Huber Matos, l'un des trois « comandantes » les plus prestigieux de la révolution avec Ernesto Guevara (Che) et Camilo Cienfuegos. Huber Matos fut condamné par Castro en octobre 1959 à vingt ans de prison pour avoir osé manifester son désaccord avec l'orientation communiste prise par la révolution et présenté sa démission de gouverneur militaire de Camaguey, mais aussi tous les livre de Carlos Franqui et celui de Benigno dernier compagnon du Che en Bolivie qui réussit à échapper miraculeusement aux soldats qui abattirent Guevara : « Vie et mort de la révolution cubaine »,
N'est-il pas alors temps de réaliser et de proclamer qu'il n'est pas de sauveur suprême ? Qu'ils sont, ces graines de « caudillo », un obstacle majeur à toute démarche émancipatrice ?