J'avoue ne pas comprendre : comme tous les soirs je suis allé consulter mes messages et j'en ai profité pour faire un tour sur la toile. Bondissant au-delà des J. O. qui sont une honte par la place qu'ils occupent dans les médias au moment où l Europe s'écroule et où l'on meurt en Syrie, au Mali et un peu partout dans le monde, j'apprends que le Président et sa compagne partent en vacances et que, normalité oblige, ils partent par le train.
Moins normale me semble-t-il est la destination : le Fort de Brégançon. Peu instruit en matière de monuments historiques, je consulte le rectangle magique en haut à droite. Il n'y a pas à dire c'est une belle demeure, dans un bien bel endroit. Et bien fréquentée.
De Gaulle n'y passa qu'une nuit par obligation en 1964. Il y fut, paraît-il, dévoré par les moustiques dans un lit bien trop court pour sa grande taille. Les Pompidou et les Giscard en revanche apprécièrent fort le lieu qu'ils prirent la liberté de rénover à leur goût. Chirac paraît-il s'y emmerdait et Mitterrand, tout normalement, préférait Latché.
Alors je me prends à rêver : le président normal, ce Président de gauche, socialiste de surcroît, n'envoie pas sa compagne en repérage comme il est conté dans les gazettes pour voir si les coussins sont confortables, mais avec la mission (puisqu'elle veut se rendre utile) de voir comment cette bâtisse devenue résidence officielle du Président de la République en 1968 (même en pleine « révolution » il en est qui ne perdent pas la tête) pourrait être convertie en quelque chose d'utile à la République, d'utile au peuple et, mieux encore, d'utile aux plus nécessiteux des citoyens.
Et voici que la compagne rentre triomphante à l'Élysée qui, soit dit en passant, n'est déjà pas si mal comme lieu de villégiature. Elle agite sous le nez présidentiel plusieurs propositions fort lestement rédigées.
Elle a calculé que pour la somme dépensée en personnel et en entretien du Fort tout au long de l'année, somme dont je n'ai pas la moindre idée mais dont je suis sûr qu'un riverain avisé nous la communiquera, pour cette somme, donc, il est possible de faire de cette somptueuse demeure soit, aux choix : un lieu de résidence pour personnes dépendantes, un centre culturel, lieu de vie fonctionnant tout au long de l'année pour les enfants qui ne partent jamais plus loin que leur dalle en béton, ou, je n'ose le dire, un lieu d'accueil pour des sans-logis, des étrangers, même sans papiers, avec leurs enfants en attendant...
Et tant qu'on y est dit-elle, c'est toujours la compagne triomphante qui parle, on pourrait en faire autant de la résidence du premier ministre et de tous ces châteaux qui ne servent à rien et qui coûtent les yeux de la tête. Il se pourrait bien sûr que cela cause quelques détériorations car les pauvres ne savent pas se conduire, ce n'est pas de leur faute, ils n'ont pas l'habitude...
Époustouflé, le Président est époustouflé par tant d'audace... Et moi je reviens sur terre et je ne comprends toujours pas comment un Président socialiste peut se conduire ainsi, comment il peut jeter aux yeux du bon peuple la poudre d'un voyage en train pour mieux occulter le luxe tapageur dont il va se délecter.
Et je me demande si, à défaut d'éthique, la pudeur au moins ne devrait pas guider les pas d'un « homme de gauche ».