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Cette « bifurcation » a pour origine la constatation vérifiée sur le terrain et par la pratique gouvernementale que la lutte politique et syndicale ne suffit pas à créer un mouvement émancipateur si elle n'est pas soutenue et orientée par une intervention puissante dans le champ idéologique c'est-à-dire médiatique.
Raison pour laquelle Iglesias revendique et pratique un journalisme sans fards, engagé et militant dont le souci essentiel serait cette parrêsia étudiée par Michel Foucault dans ses derniers cours au Collège de France, ce « courage de la vérité », ce « parler vrai » quoi qu'il en coûte, à opposer au discours médiatique dominant.
C'est bien ce que tentent de faire Iglesias et ses talentueux journalistes sauf quand leur volonté militante ou plutôt leur dogmatisme militant les conduit à couronner de lauriers des « caudillos » tels que Chavez ou Castro en dépit de tout « parler vrai », de toute vérité. Dernier exemple en date de ce « parler faux » l'émission de La Base du 4 juin consacrée à Cuba et sa révolution.
Voici : Iglesias et ses journalistes mentent quand ils ne cessent d'invoquer le « Blocus » imposé par les États-Unis pour expliquer les échecs de l'économie cubaine sans dire un mot, par exemple, des observations de René Dumont qui fut un des plus proches conseillers de Castro et dénonça très tôt une réforme agraire imposée par le haut sans tenir le moindre compte des souhaits des « guajiros » cubains de base. Nul ne songe à ne pas dénoncer cet acte impérialiste criminel mais cela ne justifie en aucune façon les atteintes à la liberté, à toutes les libertés dans l'île et en particulier à la liberté d'expression, à la liberté de la presse.
Iglesias ment quand dans une émission d'une heure il passe sous silence pour préserver l'image du « Caudillo » Castro des faits aussi graves et significatifs que l'affaire Padilla et la condamnation à vingt ans de prison de celui, Huber Matos, qui fut le quatrième « Comandante » après Castro et son petit frère Raoul, Camilo Cienfuegos et le Che. J'y reviendrai.
Ernesto Padilla était un poète reconnu en Amérique latine qui s'inquiéta de la limitation de la liberté d'expression des intellectuels. Il fut arrêté à la fin du mois de mars et contraint à une parodie d'autocritique digne des pires moments du stalinisme.
Le 22 mai 1971 Le Monde publia, sous le titre « Des intellectuels français et étrangers rompent avec le régime cubain », une lettre signée par une soixantaine d'intellectuels qui tous avaient été de fervents soutiens de la « Révolución » dont Sartre et Beauvoir. Cette lettre interpellait Fidel Castro et lui faisait part de la « honte et de la « colère » des signataires face à cette « pénible parodie d'autocritique ».
Deuxième exemple des méthodes employées par Castro pour préserver et consolider son pouvoir absolu : le cas Matos. Hubert Matos fut donc le quatrième « comandante » de « l'armée rebelle (ejercito rebelde). Enseignant et agriculteur, il avait consacré toute sa vie militante à la « Revolución », mis au service de celle-ci les revenus et les véhicules de la petite ferme exploitée par ses parents. Au printemps 1958 il avait réussi à aller chercher au Costa Rica, en compagnie du pilote Pedro Diaz Lanz et à livrer dans la Sierra Maestra cinq tonnes d'armes et de munitions ce qui lui valut le grade de « Comandante » et la responsabilité de la Colonne 9 qui libéra Santiago de Cuba.
Après le « Triunfo de la Revolución », Castro qui avait exigé que Matos soit à ses côtés en compagnie de Camilo Cienfuegos sur le véhicule qui fit son entrée triomphale à La Havane le nomma Gouverneur militaire de la province de Camaguey.
Mais Huber n'était pas communiste, il se disait simplement humaniste « verde olivo » et il redoutait plus que tout l'évolution qu'il percevait depuis longtemps de la révolution vers le communisme. De sorte qu'il osa interpeller Castro qui avait tant de fois affirmé dans la Sierra qu'il n'était pas et ne serait jamais communiste (Primer manifiesto de la Sierra) et qu'il osa lui présenter sa démission assurant que son seul souhait était désormais de reprendre son métier d'enseignant et de ne pas être un obstacle à la Révolution.
Castro ne pouvait tolérer un tel comportement. Pour lui, toute démission était trahison de sorte qu'il dépêcha Camilo Cienfuegos à Camaguey avec l'ordre d'arrêter Huber et de le ramener à La Havane. On peut lire le récit de cette rencontre dramatique des deux amis, Camilo et Huber, dans le livre de Matos « Et la nuit est tombée »(Les belles lettres).
Huber Matos eut droit à un procès public dont le procureur ne fut autre que Castro lui même qui prononça un de ses interminables discours auquel Matos répondit point par point. Il fut condamné à vingt ans de prison qu'il accomplit au jour près dans les pires conditions endurant toutes les tortures possibles.
Ce ne sont là que deux exemples, il en est beaucoup d'autres. De sorte que faire une émission de une heure sur la révolution cubaine pour en louer les réussites (il y aurait beaucoup à dire sur ces « réussites ») sans prononcer une seule fois les noms de Padilla et de Matos ou encore ceux de Benigno ( dernier compagnon du Che en Bolivie, « Vie et mort de la révolution cubaine », Fayard ) mort en exil à Villejuif, ou de Carlos Franqui, responsable de « radio rebelde » dans la Sierra, mort en exil à Porto Rico, faire cela « compañero » Pablo Iglesias, c'est mentir. Il reste encore à fournir un effort pour parvenir à un journalisme du « parler vrai » un journalisme de la « parrêsia ».