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Billet de blog 10 avril 2016

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La Nuit Debout : pourquoi pas au Bois?

Je suis allé faire un tour, vendredi, place de la République, histoire de voir, de respirer l’air de cette révolte qui aimerait tant se muer en Révolution, une fois de plus.

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 J’éprouve une immense sympathie pour tous ces jeunes, mais aussi moins jeunes, qui tentent de refaire le monde, comme on dit, sur quelques mètres carrés de bitume et, ce faisant, je me rends compte, ces deux lignes écrites, que je risque fort de radoter si je n’y prends garde.

 Voyons tout de même : en arrivant de la rue du Château d’Eau je suis happé par la cadence indéfinie et assourdissante d’une musique que j’écoute un instant et dont je comprends qu’elle puisse par ce répétitif incessant et lancinant fasciner tous ceux et celles que je vois danser sur place proches sans doute d’un état second, d’un paradis foisonnant.

Plus loin, des cercles de personnes assises à même le sol tentent non sans difficultés de vaincre le grondement rythmé pour traiter de sujets qui importent comme l’éducation, la sécurité, le travail et bien d’autres choses encore. Mes vieux os m’interdisent de prendre place dans l’un de ces cercles on ne peut plus de base ("los círculos" comme disent les "compañeros de tras el Pirineo") de sorte que je poursuis mon chemin déambulant d’une tente à l’autre, de la cantine au marchand de brochettes dont le fumet d’oignons frits titille les gustatives.

Mais voici que face à la tente abritant quelques enceintes acoustiques de bonne  taille des femmes et des hommes en grand nombres sont assis, se serrent pour faire place à d’autres femmes et d’autres hommes qui à leur tour prennent place. Me voici donc sur le forum ou plutôt à l’orée du forum car mes vieux os m’interdisent toujours, et plus encore qu’il y a un instant, la position de je ne sais quel scribe ou penseur.

Silence.

Sous la tente quelques jeunes personnes murmurent en se passant un micro  de main en main. L’une d’elles s’avance soudain pour prier les assis de bien vouloir ménager des « allées » par lesquelles circuleront les porteurs de micro quand sera venu l’heure des prises de parole par le peuple ainsi assemblé. Les « allées » sont ménagées avec célérité et application.

Silence.

 Non loin de moi une maman fait manger son bébé bien installé dans sa poussette, mignon comme un ange. Elle lui enfourne des cuillérées de quelque chose qui ressemble à du taboulé et qui me donne faim. Je regarde le bébé qui, repu, me sourit.

Silence.

Pendant que le bébé déguste son taboulé, le forum s’élargit. Une jeune femme porteuse de micro demande à celles et ceux qui sont debout de bien vouloir s’asseoir sans la moindre considération pour les vieux os de certains, comment pourrait-elle imaginer de telles considérations ?

Silence.

Mais voici que « salta al ruedo » (saute dans l’arène) un monsieur chauve qui nous demande d’aller manifester un instant devant une agence de la Société Générale là bas, au coin de la rue du Temple, histoire de crier notre indignation face à l’ignominie des paradis fiscaux dont use et abuse cette banque, comme les autres sans doute. On obéit comme un seul homme et une seule femme… Et on revient sur le forum. On s’assoit ou on reste debout selon l’âge des os.

Silence.

Personne, personne ne se lève, ne surgit, excédé, pour dire simplement que ça suffit, qu’on en a assez d’attendre on ne sait quoi, on ne sait quelle autorisation, quel «responsable », quel chef, personne, moi non plus…

 Silence.

Mais voici qu’une jeune porteuse de micro s’avance. L’Assemblée générale va enfin commencer se dit-on, oui mais avant il faut répéter : comment fait-on pour dire son accord, son désaccord, son irréductible opposition, etc. ? Et puis les allées s’il vous plaît, pensez aux allées pour que puisse le micro circuler… tout à l’heure.

Enfin, les porte-paroles des commissions sont appelés, enfin des mots qui racontent ce qu’ils sont en train de vivre dans ces commissions, qui disent comment ils voudraient être plus nombreux à le vivre… Mais il se fait tard, le bébé a fini son taboulé, les brochettes aux oignons embaument, je quitte la place, à regret bien sûr, à regret, je reviendrai sans doute mais je me demande pourquoi ici ? Pourquoi sur cette place ?

Je sais bien la République, tout un symbole, je sais bien mais tout de même, n’a-t-on pas vu la semaine dernière les riches habitants des abords du Bois manifester, avec quelle véhémence, contre le projet d’abris pour les sans-logis ?

Mais alors pourquoi le campement de la République n’irait-il pas camper là, justement à l’orée du Bois en ce superbe printemps alors que déjà les bourgeons éclatent et les arbres verdissent ? Ne serait-ce pas aussi hautement symbolique de camper chez les riches qui ne tolèrent pas la vue des pauvres ?

Et puis ce soir, rentrant de la manifestation, je me demandais : pourquoi encore ce parcours historique, de la République à la Nation ? Pourquoi pas la prochaine avenue Foch par exemple ? Je sais, l’autorisation  ne serait pas délivrée.

 Ah, bon ?

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