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Billet de blog 12 août 2016

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Souillac-sur-Dordogne : le saccage!

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il était une fois un gros bourg sur la rive droite de l’une des plus belles rivières de France : la Dordogne. Le bourg est toujours là, bien sûr, avec  son cœur séculaire, ses ruelles moyenâgeuses, ses maisons d’une modestie plébéienne et ses demeures seigneuriales parfois couronnées de terrasses fleuries.

Mais ce vieux Souillac n’est plus qu’un morne désert et rien ne semble pouvoir s’opposer à cette désertification dont, pourtant, chacun connaît les causes et qui gagne inexorablement villes, bourgs et villages au détriment d’un certain mode de vie et au profit d’un essaimage (un mitage dit-on) de constructions pratiquement identiques, à demi préfabriquées, dans ce qui reste de campagne alentour.

C'était mieux avant...

Le phénomène est connu, observé, analysé, disséqué… en vain, le mitage s’étend sans retenue. Mais passons et revenons à la Dordogne (on peut lire à ce propos le livre de Jacques Laporte : ma Dordogne passionnément)  car, si le bourg se désertifie, sa rive droite, elle, en ces mois ensoleillés, est extrêmement habitée.

Avant (oui, je l’affirme d’emblée quitte à passer pour un fieffé conservateur : c’était mieux avant !) les jardins magnifiques dopés au limon déposé par les crues d’antan cernaient le « terrain de rugby » et s’étendaient sur la  «Plaine » jusqu’à la rive où l’on venait dîner sur l’herbe grasse après avoir nagé dans l’eau odorante et miroitant de tous ses galets que nulle vase ne ternissait et où nul herbage  couvert de  renoncules avides de nitrates ne s’étiraient comme de longues chevelures.

Et puis apparut sous les peupliers un « camping » fort rudimentaire permettant sans doute à la municipalité de récolter quelques sous. Mais ceci c’était avant, dans les années 1960-70. Et aujourd’hui ?

Le « Camping des Ondines » s’est largement étendu dévorant les jardins pour proposer aux touristes bungalows, piscines et autres commodités. Tout cela maintenant géré par une société privée, tournant le dos à la rivière et séparée de celle-ci par une épaisse et haute haie afin, dirait-on, que les « campeurs » ne soient pas molestés par la vue de ce flot rustique quand ils se baignent dans l’eau très bleue et très chlorée de leur piscine.

Mais cela n’est rien car voici que s’élève depuis quelques années, comme prolongeant le « camping » un hideux « parc aquatique », c’est-à-dire une très vaste piscine flanquée de toboggans de toutes sortes, vertigineux et colorés et d’une vaste terrasse garnie de tables et de chaises où l’on est invité à se gaver de saucisses, de frites et de pizzas « cuites au feu de bois », bien sûr.

Privatisation sauvage d'un espace public

Ce n’est pas tout, car le marchand qui a eu la riche idée du «parc aquatique » ne cesse de prospérer en louant des canoës par centaines encombrant la route bien asphaltée qui maintenant longe la rivière : véhicules de toutes sortes transportant les canoës,  camions, remorques, autocars transportant les amateurs de la rame sans compter les livreurs approvisionnant le site en mangeailles diverses et les queues invraisemblables de baigneurs patientant pour pénétrer dans ce temple du « loisir » ou pour louer un bateau avec bidon et gilets de sauvetage.

De sorte que si par aberration il vous vient l’idée d’emprunter, à vélo par exemple, cette voie pourtant publique, vous devrez mettre pied à terre, contourner les véhicules s’il est possible sur ce qui reste d’herbe ou rebrousser chemin. Bref, il y a là quelque chose de l’ordre de la privatisation sauvage d’un espace public dans lequel vous serez regardé comme un intrus dans un monde qui ne baigne plus dans la fragrance délicate des peupliers mais dans le fumet gras de frites et de saucisses recuites.

Ce n’est pas tout : jouxtant le « parc » se trouve un champ portant il y a peu encore un verger de cerisiers. Mais voici que notre marchand avisé vient d’acquérir cette terre, comme on dit ici, pour en faire un nouveau « parc d’activités ». Et voici que s’élève maintenant à la place des cerisiers un vaste alignement de poteaux en béton sans doute récupérés auprès de la société chargée de remplacer ces antiques mastodontes par de modernes et élégants réverbères.

Un parcours du combattant

Entre ces poteaux sont tendus filets, passerelles et tunnels de corde, non plus un circuit « d’accro-branches » mais un véritable parcours du combattant à la disposition de touristes impétueux, une horreur esthétique autant qu’idéologique qui a immédiatement suscité une pétition demandant aux autorités (municipalité, département, région) de mettre fin au saccage de cette rive. Nous en sommes là, le saccage de la Dordogne dont témoigne la prolifération des renoncules depuis quelques années se poursuit par le saccage de ses rives pour le plus grand profit de quelques marchands…

Lesquels marchands auraient bien tort de se priver puisque des femmes et des hommes non seulement acceptent de patienter dans les vapeurs d’essence, d’échappements, de frites et de saucisses pour plonger dans l’eau bleue et chlorée mais s’y précipitent sans un regard pour la rivière qui, soudain semble se recroqueviller dans son lit comme honteuse d’elle-même, de ses miroitements et de ses renoncules. Alors ?

Rien, sinon une certaine amertume au spectacle de cette foule (ce peuple ?) se précipitant avec avidité dans un de ces temples de la consommation qui ont, plus que toute autre cause, contribué à la désertification des villages, des villes et des bourgs, puis, cette même foule envahissant les « parcs de loisirs » et participant ainsi non seulement au saccage des rives de la Dordogne mais à celui des montagnes et des mers…

Amertume, en effet, et l’on se demande d’où viendra la révolte contre le saccage. On se demande…

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