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Billet de blog 13 octobre 2017

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Yo no estoy orgulloso de ser español (moi je ne suis pas fier d'être espagnol)

Moi, je ne suis pas fier d'être espagnol assène le chroniqueur David Bollero sur le site de « Público » le jour même de la fête nationale, ce 12 octobre qui commémore la découverte du « Nouveau Monde » en 1492, tandis que Tomás Ibáñez poursuit ci-dessous son analyse de la situation en Espagne d'un point de vue libertaire :

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Chronique de David Bollero (extraits):

Le Ministère de la Défense a transformé une fête avec laquelle je n'étais déjà pas d'accord en quelque chose de pire encore : « le jour de la fierté d'être espagnol ». Et moi je ne suis pas fier d'être espagnol. J'irai même jusqu'à dire que bien souvent j'en ai honte.

Etre fier de quelque chose qui n'est due qu'au pur hasard est une absurdité, une souveraine stupidité. Personne ne choisit le lieu de sa naissance […]. Imaginez, vous qui aujourd'hui vous sentez tellement espagnol, que vous soyiez né en Syrie. Un jour comme aujourd'hui vous verriez tous ces gens qui dépensent 420000 euros pour organiser un défilé militaire, tant ils sont fiers d'être espagnols, mais vous refusent l'asile alors que vous fuyez la guerre et le terrorisme […]. Pour cela j'ai honte d'être espagnol.

                                                                                                   […]

J'ai honte d'être espagnol quand je ne perçois aucune réaction citoyenne face à la corruption politique et entrepeneuriale qui a pillé le pays, quand personne ne se demande comment il est possible, alors que l'Espagne connaît la plus grande période de misère depuis la guerre, que le nombre de millionnaires croisse au rythme de 800 par an.

                                                                                                  […]

Pour moi, un drapeau est un chiffon pour lequel je n'ai aucun respect parce qu'on ne l'utilise même pas pour nettoyer mais plutôt pour cacher toutes ces impudences. Et plus il y a d'ordures à cacher, plus grand est le drapeau.

                                                                                                   [...]

Analyse de Tomás Ibáñez:

C’est dans les moments agités, complexes et orageux qu’il importe de consulter nos boussoles pour ne pas nous égarer. Mais c’est aussi au cœur de l’orage que leurs indications s’avèrent le moins fiable. C’est pourquoi il est crucial de ne pas se laisser emporter par le tourbillon des événements qui se succèdent de manière endiablée et qui exigent des réactions rapides. C’est pourquoi il est nécessaire de lever les yeux, ne serait-ce qu’un instant, au-delà du contexte immédiat, de prendre une certaine distance par rapport à l’orage, et tenter d’entrevoir l’horizon vers lequel nous poussent les actes que la situation semble nous imposer.

Malgré la sympathie, l’affection et la compréhension que j’éprouve envers bon nombre des libertaires qui s’impliquent dans les mobilisations qui secouent la Catalogne, je ne peux m’empêcher de considérer qu’ils sont en train de favoriser, de manière totalement involontaire, le processus conçu par le Gouvernement Catalan et par les formations nationalistes pour créer “un nouvel Etat”.

Il est clair que tel n’est pas leur objectif, bien au contraire, et que ce n’est pas cela qui les conduit à exposer leur corps dans une paradoxale “défense des urnes”, ou à convoquer une grève générale en contiguïté temporelle avec le référendum pour la création d’un nouvel Etat.

Leurs objectifs s’étendent depuis celui consistant à “détruire l’Etat Espagnol” (souhaitons qu’il soit atteint), jusqu’à celui d’avancer vers une situation où il soit possible de “décider de tout” et pas seulement de la forme politique du territoire, en passant par la volonté de radicaliser l’agitation actuelle en encourageant la créativité et les pincées d’auto-organisation qui pointent dans la population. Certains caressent même le rêve d’une (improbable) insurrection populaire ouvrant la voie à une véritable “autonomie” au sens fort du terme qui va bien au-delà du concept d’autodétermination des peuples.

Ces objectifs, ainsi que l’incontournable engagement à lutter contre la répression exercée par l’Etat sur ceux qui défient ses lois, m’inspirent le plus grand respect. Ceci dit, il n’en demeure pas moins que les actions de ces camarades apportent leur petit grain de sable au développement du projet indépendantiste, ou plutôt nationaliste, comme il est plus exact de le dénommer car il ne poursuit pas “l’indépendance” d’autre chose que celle d’une “nation” … exclusivement.

Si cette contribution au développement du projet nationaliste me préoccupe ce n’est pas parce qu’il conduit à l’éventuelle création d’un nouvel Etat, car en fin de compte il nous faudrait poursuivre nos luttes en son sein comme nous le faisons dans l’Etat où nous nous trouvons sans qu’un changement du cadre étatique entraîne une différence qualitative digne de mention. Vivre dans un nouvel Etat nous importe peu, par contre, la principale conséquence négative qui découlera de notre participation dans le conflit actuel c’est que ce sera nous, et les travailleurs impliqués, qui paieront les “pots cassés” de l’affrontement entre l’Etat institué et l’Etat naissant, comme cela va être le cas, par exemple, pour la vingtaine d’anarchistes grecs arrêtés suite à l’occupation de l’ambassade espagnole en solidarité avec “la Catalogne” (sic).

Ce qui me préoccupe, et c’est précisément ici que prend sens mon appel à “lever les yeux”, c’est que la contribution aux affrontements actuels est en train de donner des ailes à “l’essor des nationalismes”, comme cela se produit chaque fois qu’il y a un choc entre nationalismes, et cela augure un affrontement entre travailleurs aussi bien en Catalogne, qu’entre des travailleurs d’ici avec ceux d’autres parties du territoire. Sans parler, par ailleurs, de l'inéluctable “essor de l’extrême droite” que l’on constate déjà en divers points d’Espagne. Bien entendu, il ne s’agit pas de renoncer à lutter sous prétexte que cela peut susciter l’essor de l’extrême droite, mais ce qu’il ne faut certainement pas faire c’est lutter dans une bataille définie en termes nationalistes car c’est cela qui garantit cet essor.

En cet instant, les interventions respectives de Puigdemont (Président du Gouvernement Catalan) qui laissa hier dans les limbes la proclamation du nouvel Etat, et de Rajoy (Président du Gouvernement Espagnol) qui a mis en marche, de façon pour l’instant voilée, la suspension de l’Autonomie Catalane, révèlent leur soucis de ne pas nuire aux intérêts des grandes corporations, des entreprises ou des entités financières, et signalent les limites qu’aucun des deux gouvernements en lice n’est disposé à transgresser. Cela se traduit par une atténuation de la tension existante, accompagnée de la mise en scène d’un spectacle fait de poses et de tromperies assorties de tirs de balles à blanc. Jusqu’à présent le seul sang qui a été versé, et il faudrait éviter qu’il continue à l’être, est celui de “ceux d’en bas,” qui se sont laissés entraîner à participer à une partie orchestrée et arbitrée par la classe politique en fonction de ses intérêts. Il nous faut lutter, bien sûr, mais pas dans des combats où nos ennemis nous appellent à les rejoindre.

Tomás Ibáñez

Barcelone 11 octobre 2017

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