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Billet de blog 13 décembre 2023

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PISA : tragique imposture

PISA est une imposture en ceci qu'elle occulte sa véritable nature de « bras armé » de l'OCDE comme celle-ci dissimule sa véritable nature de « bras armé » du néolibéralisme (Bourdieu). Tragique car elle contribue au sacrifice d'une multitude d'enfants sur l'autel de la compétition.

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Les enquêtes PISA sont de la belle ouvrage. Sans le moindre doute. Les tests auxquels sont soumis des adolescents échantillonnés ont été mis au point par des techniciens rompus à l'échantillonnage statistique qui en ont élaboré minutieusement les « items » de manière à  mesurer les performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres de l'OCDE.

Il convient de noter d'emblée qu'il s'agit de mesurer non les connaissances des élèves testés mais les « performances » des systèmes éducatifs de certains pays. Occurrence significative qui institue les systèmes en instances agissantes, en sujet donc, sachant que l'objet de ce sujet est constitué de groupes d'êtres humains dont il s'agit de mesurer les capacités à mobiliser leurs connaissances scolaires et à les réutiliser dans des situations proches de la vie quotidienne.

Ce qui conduit nécessairement à s'interroger quant à « l'être » de cette vie quotidienne à laquelle sont destinés les « objets » produits par des systèmes plus ou moins performants, de s'interroger quant à la nature même des constituants de cette quotidienneté.

Il importe alors de porter quelque attention à la sémantique lexicale ici mobilisée. Le verbe mesurer renvoie évidemment à la dichotomie grand/petit généralisable en plus/moins c'est-à-dire à la notion de classement. Quant au vocable performances il renvoie évidemment au champ de la compétition qui implique les catégories de gagnants et de perdants.

Observant de cette sorte la littérature auto descriptive de l'OCDE et de son outillage PISA on voit se dessiner le paradigme d'un monde dualiste hébergeant une série d'antagonismes s'incarnant socialement et axiologiquement en dichotomies telles que gagnant/perdant, vainqueur/vaincu, supérieur/inférieur, riche/pauvre, etc. qui décrivent les situations proches de la vie quotidienne façon OCDE dans un monde que l'on qualifie depuis quelque temps déjà de néolibéralisme.

Néolibéralisme que Bourdieu décrivit jadis dans un texte qui n'a rien perdu de sa pertinence : une utopie convertie en programme politique mais une utopie qui, avec l'aide de la théorie économique dont elle se réclame, parvient à se penser comme la description scientifique du réel.

Sachant en outre, prévient Bourdieu, que : le monde économique [...]est prompt à réprimer tous les manquements par les sanctions qu'il inflige de manière automatique soit – plus exceptionnellement – par l'intermédiaire de ses bras armés, le FMI ou l'OCDE, n'apparaît-il pas que les enquêtes PISA elles-mêmes bras armé de l'OCDE mesurant les performances d'adolescents en termes de capacités à mobiliser leurs connaissances scolaires et à les utiliser dans des situations proches de la vie quotidienne, dessinent une vie quotidienne modelée par l'utopie néolibérale dont le dualisme fondamental structure le quotidien en triomphe de l'inégalité laquelle apparaît alors comme naturalité, c'est-à-dire comme incontestable et indépassable ?

Ce qui met en évidence que la volonté des gouvernements, plus soucieux de la place de leur « système éducatif » dans les classements que du bien-être des enfants dont une multitude sont les « perdants » de la compétition, est celle d'assurer la pérennité du monde tel qu'il va dont on sait aujourd'hui, plus que jamais, qu'il mène à l'abîme.

Dans ce contexte, les mesures annoncées par le nouveau ministre brandissant son « choc des connaissances » (le néolibéralisme n'est jamais avare en procédés publicitaires et, en l'occurrence, propagandistes) tombent dans le dérisoire. Elles ne permettront même pas de progresser dans le classement car copier la « méthode Singapour » ou s'inspirer de la démarche disciplinaire Shanghai c'est volontairement ignorer la masse de ces prolétaires robotisés attelés à la tâche, à la production de marchandises « gadgétisées » et, en fin de compte destructrices du vivant sur cette terre. C'est ignorer que la réussite de quelques-uns aux classements internationaux dans des sociétés disciplinaires est obtenue au prix du sacrifice d'êtres humains innombrables assujettis à la besogne et, au fond, chosifiés, réifiés en instruments, en outils.

Le ministre semble ignorer (ignorance ou incompétence ?) la riche histoire de l'éducation et des pratiques pédagogiques depuis, disons, Montaigne et Rousseau jusqu' à nos jours en passant par Dewey, Freinet, Decroly jusqu'à Meirieu et aujourd'hui Sylvain Connac et bien d'autres, comme il semble ignorer les conséquences des mesures de son « choc » qui se résument, au-delà du verbiage affligeant dont elles sont l'objet, à la relégation des enfants socialement défavorisés autrement dit des pauvres de toutes les pauvretés (on sait la propension du néolibéralisme à l'euphémisation) dans des « groupes de niveau », dans, comme il se dit en salles de professeurs, des « mauvaises classes ».

Conséquences pourtant tragiques que le regroupement d'enfants issus des ghettos urbains, qui dénigrés depuis la maternelle, se qualifiant eux-mêmes de "nuls" , sont « ghettoïsés » désormais dans des classes à effectifs réduits qui ne vont pas tarder, tout rêves perdus, éperdus, à se constituer en « classes-bandes » et parfois même en « classes-gangs ».

Et voici que l'on vient d'apprendre de la bouche d'une ministre particulièrement ignorante, malveillante ou cynique que seront sanctionnés de diverses peines (travaux forcés et sanctions financières) les parents de ces enfants dont les actes parfois fort déplorables sont le produit des « performances » d'un système éducatif et social fonctionnant sans le moindre scrupule à l'inégalité et à l'injustice institutionnalisées.

N'atteignons-nous pas ici à l'abject quand sous couvert de « responsabilisation des parents » cette nouvelle euphémisation n'a d'autre objet que de camoufler la volonté de perpétuer cette « utopie » inique dont parlait Bourdieu qui au terme de son impuissance ne voit son salut que dans la répression ?

Mais il semble que nous n'en ayons pas fini avec l'abjection puisque pointe à l'horizon l'obligation du port de l'uniforme par des enfants dans ce lieu de culture en liberté que devrait être l'école, cette ignominie dont nous aurons bientôt à reparler.

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