Rentrée parlementaire agitée en Espagne aujourd’hui. D’abord ils et elles, certains et certaines, arrivent en vélo, d’autres tout simplement par le métro. Evidemment ils ne portent pour la plupart ni costume ni cravate et ils ne sont pas deux ou trois mais tout de même soixante neuf. Ce sont bien entendu les député(e)s de Podemos et des « confluencias » qui vont avec.
Toutes les caméras se braquent sur elles et eux mais plus particulièrement sur Carolina Bescansa qui est venue avec son bébé dans les bras. Il n’a pas l’air plus ému que ça d’ailleurs le petit Diego (cinq mois), il passe des bras de sa mère à ceux de ĺñigo (Errejón) puis à ceux de Pablo (Iglesias) sans manifester le moindre désarroi.
Il faut dire qu’il commence à avoir l’habitude car sa mère n’a cessé de le trimballer de meetings en réunions pendant toute la campagne électorale. Diego est bien sûr la vedette de cette rentrée et il ne manque pas de députés pour s’offusquer d’une telle intrusion : « ce n’est tout de même pas un lieu pour un bébé » s’étrangle l’une, « il y a une crèche, ici, c’est fait pour ça » s’insurge l’autre, certaines dames du PSOE ont l’air particulièrement hargneuses comme si elles avaient oublié que PSOE signifie « parti socialiste ouvrier ».
A quoi Carolina répond de sa voix fluette qu’elle allaite son enfant et que par ce geste elle revendique le droit pour toutes les femmes de pouvoir en faire autant tout en continuant à travailler si elles le désirent. En outre, ajoute-t-elle, il est bon que la vraie vie entre dans ce lieu confiné, observation qui semble offusquer nombre d’élus et pas seulement de droite.
Mais l’heure est venue de sacrifier à la tradition et pour chaque « señoría » (c’est ainsi que l’on désigne les députés) de jurer ou promettre de respecter la constitution. Les députés de Podemos et consort jurent bien sûr mais surtout de travailler à la changer et terminent par la formule : « jamais plus un pays sans son peuple, sans ses peuples » à quoi certains ajoutent des improvisations dans leur langue régionale maternelle et Iglesias va même jusqu’à terminer dans le langage des signes.
Il faut voir (ici) Carolina passer Dieguito à ĺñigo avant de se lever pour prononcer le rituel « Prometo etc. ». Et bien sûr « bronca » comme disent les aficionados et les supporters du Real quand le spectacle n’est pas à leur goût.
Alors, bien sûr, folklore que tout cela ! Est-ce bien sûr ? Outre le fait que Podemos a profité de l’occasion pour poser sa première proposition de loi qui obligerait les banques et tout autre organisme propriétaire de locaux inoccupés à les mettre temporairement à la disposition des victimes des expulsions, il n’est peut-être pas négligeable que le changement souhaité se concrétise immédiatement par des signes sans équivoque et des comportements exemplaires de celles et ceux qui l’ont prôné.
Les actes symboliques ont en politique comme ailleurs leur importance et il n’est peut-être pas indifférent que ces soixante neuf député(e)s différent(e)s ne se soient pas compromis comme l’ont fait le PSOE et Ciudadanos avec la droite pure et dure lors de la constitution du bureau de l’Assemblée, laquelle droite a consenti à s’abstenir de manière que la présidence en revienne à Patxi López, un socialiste bien sûr et en échange de quoi elle conserve la majorité.
Espérons qu’ils ne se compromettront pas non plus dans les tractations qui vont bon train pour la formation d’un gouvernement et la désignation de son président. Espérons qu’ils feront mentir la belle observation de Tomás Ibáñez : « on ne prend jamais le pouvoir, c’est toujours le pouvoir qui nous prend ». En attendant : bonne tétée à Dieguito.