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Billet de blog 14 novembre 2016

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Podemos: transversalité ou radicalité?

Le maelstrom survenu en Amérique nous force à constater, pour le moins, qu’un autoritarisme étatique, ou peut-être n’est-il pas faux de le dire, un néo-fascisme est en train de se répandre par la terre entière.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En Europe les partis et mouvements néo-fascistes prospèrent partout à une exception près, l’Espagne. Là, une partie des victimes de la folie consumériste néo-libérale semble se rassembler autour de différents mouvements, plates-formes et marées dont le nouveau parti, Podemos, issu du 15-M des « indignados », tente de traduire les aspirations en termes politiques c’est-à-dire en volontés de prise du pouvoir.

De sorte qu’il n’est pas indifférent d’examiner les soubresauts qui, déjà, à pas encore trois ans d’existence, agitent le Parti. Que se passe-t-il en effet à Podemos, dans Podemos ? Que signifie cette opposition entre Pablo Iglesias et ĺñigo Errejón, les deux principaux dirigeants du Parti ?

Réforme ou révolution?

Serait-ce que toute tentative de construction d’une organisation contestant l’ordre établi et se donnant pour objectif de parvenir au pouvoir est désormais condamnée pour le plus grand profit du néo-fascisme menaçant ?

Que se passe-t-il donc à Podemos ? Car ils ont beau dire tous les deux, Iglesias et Errejón, que caractériser la situation comme l’éternelle opposition entre radicalité et réformisme relève d’une simplification passablement abusive, il n’en demeure pas moins qu’à première vue, c’est bien de cela qu’il s’agit.

Ce que confirme d’ailleurs Juan Carlos Monedero, le théoricien de Podemos, quand il écrit sur le site « Público » le 8 novembre que la divergence porte plus sur le « comment ?», ce qu’il appelle la « tactique », que sur le « pour quoi ? », qu’il définit comme la « stratégie ». Bref, comme toujours, les désaccords portent sur les moyens plus que sur les objectifs.

Il convient  pour s’en convaincre d’écouter attentivement les deux dirigeants exposer leur thèse lors de l’Université d’été qui s’est tenue fin octobre à Madrid où Errejón prononce le discours d’ouverture et Iglesias le discours de clôture.

Que disent-ils ? Au fond les mêmes choses. Le peuple n’existe pas, clame Errejón, le peuple n’est pas un bataillon qui attendrait d’être conduit on ne sait où. Le peuple est une volonté d’être, d’être tout. Mais alors il est nécessaire que se construise et se développe une autre hégémonie culturelle, une autre idée du patriotisme qui dessinent un nouvel horizon, que se construise et se développe enfin un mouvement populaire.

Il s’agit  pour cela de mettre en œuvre des tâches très  concrètes, de créer des « objets culturels », des musiques, des chansons, des films, des romans qui nous racontent, de créer en un mot une nouvelle Esthétique qui nous fasse vibrer tous ensemble.

Mais construire un peuple cela se fait par le bas, dans la rue, sur les places, dans les quartiers et les villages en prenant en main l’organisation de tout ce qui peut être organisé depuis la solidarité et les fêtes jusqu'à l’opposition physique aux expulsions. Il faut donc non seulement décentraliser mais encore être capable de se renouveler, de remplacer les dirigeants actuels avec lesquels le mouvement a été très loin en si peu de temps par d’autres militants qui aideront à aller plus loin encore, jusqu’au Pouvoir. Car c’est bien de cela qu’il s’agit poursuit Errejón, Podemos a été créé pour gouverner et non pas pour « résister » et témoigner.

Transversalité ou radicalité?

Iglesias ne dit pas autre chose quand il lance que « nous avons besoin de militants qui pointent leurs armes (dialectiques) sur les dirigeants ». Nous ne voyons donc nul désaccord entre les deux discours tant qu’ils concernent le « pour quoi », les objectifs. Mais les divergences se creusent quant au « comment », aux moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs. Nous retombons bien dans la vieille dichotomie entre réforme et révolution qui s’exprime ici par  l’opposition entre « transversalité » et « résistance » ou « radicalité ».

La transversalité selon Errejón  et ses mentors (Chantal Mouffe et feu Ernesto Laclau) consiste à s’adresser à tous ceux et toutes celles qui souffrant depuis toujours de l’inégalité et de l’injustice sociale continuent cependant à voter pour les pires conservateurs ou plus simplement à ne pas se rendre aux urnes. Ce qui soit dit en passant nous renvoie à quelques siècles de là, au XVIe précisément où un jeune homme de dix huit ans, Etienne de La Boëtie se demande dans son « Discours de la servitude volontaire » comment il se fait que tant d’hommes et de femmes subissent cette servitude alors qu’il leur suffirait de dire non… La question demeure plus pertinente que jamais…

La transversalité implique donc un discours qui ne soit pas effrayant, un discours compréhensible par tous, fait de modération et de limpidité, un discours qui explique qu’il n’y pas de contradiction entre la rue et les institutions car s’il y a bien une « crise de régime » il n’y a pas de crise de l’Etat, que les institutions continuent de fonctionner pendant les périodes de transformation, de transition vers une société plus juste.

Non, dit encore Errejón, le 15-M ne préconisait pas de « faire table rase du passé ». La transversalité vise à créer une nouvelle hégémonie culturelle qui ne doit pas faire peur mais qui permette de construire un mouvement à la fois rigoureux et révolutionnaire.

Et c’est ici que se creuse le fossé, la tranchée (nous devons creuser des tranchées dans la société dit Iglesias) entre les deux positions. Car dit Iglesias « si nous continuons à ne pas vouloir faire peur nous risquons fort de perdre de nombreux électeurs potentiels (où sont passés le million d’électeurs qui nous ont quittés lors des élections de juin dernier ?) et de faire fuir ceux qui sont avec nous depuis toujours. Ce que Juan Carlos Monedero exprime avec le sens de la formule qui le caractérise : « A force de ne pas vouloir faire peur tu deviens toi-même peureux ».

Felipe Gonzalez et la "cal viva"

Tout de même, ce débat entre modération, flexibilité, transversalité et « radicalité » ne me semble pas permettre de comprendre ce qui se joue en ce moment à Madrid et dans d’autres communautés autonomes où se déroule au sein de Podemos une véritable lutte pour le pouvoir.

 Quand, le 2 mars 2016, au cours d’une séance du Congrès, Iglésias dans une intervention particulièrement vigoureuse accuse l’ancien Premier ministre Felipe Gonzalez d’avoir un passé  « sali de chaux vive » en allusion à la torture et l’assassinat le 15 octobre 1983 de deux présumés militants de l’ETA par les GAL (Groupes Antiterroristes de Libération, organisation paramilitaire agissant clandestinement mais avec la bienveillance du gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez : les corps des deux militants furent retrouvés dans une fosse près d’Alicante recouverts de chaux vive) chacun peut voir la mine désapprobatrice de Errejón assis à côté de lui.

© eldiarioes

Puis vient l’épisode de la démission collective de dix conseillers « errejonistes » de la région autonome de Madrid protestant contre la direction « pabliste » de Podemos Madrid suivi de la suspension immédiate par Iglesias du secrétaire national à l’organisation, Sergio Pascual qui n’est autre que le bras droit de… Errejón.

Révoquer?

 Ainsi en arrivons-nous à la situation actuelle où deux listes étaient en présence pour « prendre » la direction de Podemos Madrid, l’une menée par le porte-parole de Podemos au Sénat et député régional à l’Assemblée de Madrid, le « pabliste » Ramón Espinar, l’autre par Rita Maestre, porte-parole de la municipalité de Madrid et soutien de Errejón. Les « pablistes » ont remporté largement cette primaire et  Espinar sera donc le secrétaire général de Podemos Madrid malgré la casserole qu’il traine depuis des semaines concernant une sombre affaire immobilière.

Bien sûr Iglesias s’est immédiatement félicité de ce résultat qui lui permet de se présenter avantageusement au congrès du parti qui se tiendra en janvier 2017 pour y imposer sa « radicalité ». Mais alors comment ne pas voir dans cette agitation autour des pouvoirs, qu’ils soient nationaux ou régionaux, la fascination que le Pouvoir exerce sur ces militants ? Comment ne pas voir qu’ils et elles sont pris dans les rets de ce pouvoir qui, comme disait Foucault,  est partout?

 Ne convient-il pas alors que les gens, « la gente » comme ils disent, suivent le conseil de Iglesias et pointent leurs armes dialectiques sur les dirigeants, c’est-à-dire usent du droit qu’ils se sont donné dans les statuts même de Podemos, celui de la révocation ?

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