Je tiens à préciser que, dans le Maitron - dictionnaire biographique du mouvement ouvrier-, les historiens René Lemarquis et Claude Pennetier ont rédigé une longue notice sur le parcours de Fernand Soupé, premier maire communiste de Montreuil (1935-1939), effacé de l'histoire par Patrice Bessac. Les spécialistes et les anciens militants du PCF connaissent son histoire. Mais… les Montreuillois ?
En novembre 2016, Patrice Bessac efface de l’histoire Fernand Soupé, le premier maire communiste de Montreuil. En effet, dans « Le Montreuillois », journal municipal de Montreuil, numéro 22 du 3 au 16 novembre, dans l’éditorial intitulé «2 271 Montreuillois privés de vivre… », page 4, il écrit :
Un Montreuillois fut le témoin direct du crime (allusion à l’assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet 1914) et vécut ses lendemains au plus près : son nom Daniel Renoult, collaborateur de Jaurès. Sorti vivant de la guerre mais meurtri, il deviendra le premier maire communiste de notre ville.
Philippe Hivert, l’historien du « Montreuillois », dans la rubrique « Notre Histoire », page 30, nous rappelle encore, fête de l’Armistice oblige, le lourd tribut de sang (2 271 morts) payé par les Montreuillois en 1914-1918. L’article est illustré de deux photos : sur l’une on nous montre le monument aux morts de la ville et sur l’autre sept soldats mobilisés pendant la guerre, parmi lesquels Daniel Renoult (officier sans doute), l’homme à la pipe. Hivert fait le commentaire suivant :
Daniel Renoult, l’homme à la pipe, premier adjoint de 1935 à 1940, puis maire de Montreuil de 1945 à 1958…
Philippe Hivert omet de préciser le nom du maire en 1936 lors de la victoire du Front Populaire, mais il ne ment pas, ou alors par omission.
Non, Monsieur Bessac, il est faux d’écrire que le premier maire communiste de Montreuil fut Daniel Renoult (1880-1958). Le premier maire communiste fut Fernand Soupé (1888-1975). Par ailleurs, il mena jusqu’à sa rupture avec le PCF en 1939 une politique de gauche. Pour étayer mon propos voici ce qu’écrivent dans le Maitron les auteurs cités plus haut, en évoquant les mesures prises par Soupé devenu maire en mai 1935 :
En quelques mois, ouverture d’un bureau de poste, d’une Bourse du Travail, d’un foyer d’anciens combattants, construction d’un stade, agrandissement de l’hospice intercommunal et d’un dispensaire. Le parc Montreau où sera installé le Musée de l’histoire vivante est ouvert au public. Il apporta une aide aux grévistes de 1936 ainsi que l’attestent de nombreuses lettres de travailleurs. Il avait comme secrétaire André Grégoire.
Monsieur Patrice Bessac, l’Histoire n’est pas toujours celle qui nous arrange ou celle que nous voudrions. J’aurais également préféré que Daniel Renoult, l’homme à la pipe, eût été le maire de Montreuil avant et après le Front Populaire. Question : devons-nous cacher que Fernand Soupé, dont une plaque au parc Montreau toujours visible mentionne son nom, fut le maire de 1935 à 1939 ?
Certes, Soupé collabora et il le paya cher. Avec l’aide du Maitron voici sa triste histoire. Le 4 octobre la municipalité fut suspendue. Exit Soupé. La suspension du décret-loi du 28 septembre entraînait la dissolution des organisations communistes, conséquence du pacte germano-soviétique signé par Ribbentrop et Staline en août 1939. Le 15 novembre 1939 Soupé est arrêté et le 14 mai 1940 le 3ème tribunal militaire de Paris le condamne à cinq années de prison pour propagande clandestine. Même si à cette date il a rompu avec le PCF, il reste embastillé. Il ne fut libéré que le 1er mai 1941 sur ordre du gouvernement de Vichy.
En juin 1941 eut lieu l’invasion de l’Union Soviétique par la Wehrmacht. A partir du moment où l’URSS entrait dans la guerre, la guerre devenait antifasciste et les communistes voyaient clair. Auparavant le trouble avait été semé par les consignes de Moscou que tous les militants ne suivirent pas. Charles Tillon, par exemple, était résistant en juin 1940 alors que la direction du PCF faisait des démarches auprès des autorités allemandes pour faire paraître « l’Humanité ». Pour mémoire, beaucoup de parlementaires avaient quitté le Parti en 1939, ainsi que des intellectuels comme Paul Nizan. Je ne cherche pas des excuses au comportement de Soupé le mauvais communiste, il s’agit de comprendre. Revenons au Maitron.
L’ex maire de Montreuil travaille au journal doriotiste « Le Cri du peuple ». Fin 1941 la Résistance communiste a pour mission d’éliminer les traîtres devenus les chantres du maréchal Pétain et de Doriot. Le 22 décembre 1941 Soupé fut grièvement blessé. Cyrano (responsable de l’exécution) déclara : une balle dans le dos lui est rentré par les reins et lui est ressortie par la verge. La bonne étoile abandonne le mauvais communiste. Il ne joua plus un rôle important. Le 26 février 1946 il fut arrêté à Villefranche-sur-Mer, condamné à sept années de travaux forcés, la dégradation nationale etc.. Il ne fut libéré qu’en 1948 avec les lois d’amnistie.
Daniel Renoult, le bon communiste, le premier maire du PCF selon Patrice Bessac, fut emprisonné de 1940 à 1944 et ne sombra pas dans la collaboration. Dans les années 70 et 80, pour les communistes montreuillois, Fernand Soupé était le Judas, le traître, l’agent de la Gestapo, néanmoins il existait. Un pas vient d’être franchi, à mon avis. J’assume le risque de me tromper. Pourquoi, en 2016, le maire de notre ville, philosophe de formation, à l’instar des vieux communistes, instaure-t-il la « damnatio memoriae » (condamnation à l’oubli) de Fernand Soupé ?
Miguel Peciña Anitua
Montreuil, le 15 novembre 2016