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Billet de blog 17 février 2016

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Espagne: 16 février 1936 - 16 février 2016

Nous sommes le dimanche 16 février 1936 à Madrid. Le Frente Popular vient de remporter les élections législatives. Enfin, Frente Popular c’est beaucoup dire car ce n’est pas le peuple qui vient d’accéder au pouvoir mais une caste de plus ou moins vieux politiciens, plus ou moins humanistes, tels Manuel Azaña en compagnie de son compère Indalecio Prieto...

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Nous sommes le dimanche 16 février 1936 à Madrid. Le Frente Popular vient de remporter les élections législatives. Enfin, Frente Popular c’est beaucoup dire car ce n’est pas le peuple qui vient d’accéder au pouvoir mais une caste de plus ou moins vieux politiciens, plus ou moins humanistes, tels Manuel Azaña qui sera le prochain Président de la République en compagnie de son compère Indalecio Prieto, représentant de la droite du PSOE.

La victoire du frente popular

 En attendant, le Président encore en exercice Niceto Alcalá Zamora charge Azaña de former un gouvernement qui n’aura de populaire que le nom, constitué d’universitaires et d’avocats essentiellement. D’ailleurs dans l’une de ses premières déclarations Azaña, qui a toujours refusé l’intitulé « Frente Popular », ne demande qu’une chose « l’union sous un même étendard où peuvent s’abriter aussi bien républicains que non républicains et tous ceux qui éprouvent l’amour de la patrie, celui de la discipline et du respect envers l’autorité constituée ».

De fait le peuple est ailleurs, les hommes et les femmes (oui, les femmes votent pour la deuxième fois en Espagne) qui ont voté massivement (72% de participation) l’ont fait pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le patriotisme, la discipline et le respect de l’autorité constituée. Le peuple se trouve dans les deux grandes organisations syndicales, la CNT anarcho-syndicaliste et l’UGT dominée par le Parti socialiste, ou plus précisément par la gauche de ce parti à la tête de laquelle se trouve celui que l’on surnommera bientôt « le Lénine espagnol », Francisco largo Caballero.

 La CNT compte plus d’un million d’adhérents et l’UGT presque autant. Le peuple se trouve là, dans ces deux syndicats qui ont très souvent des positions et surtout des pratiques  très proches. Il est à noter que le Parti communiste, à ce moment-là, est pratiquement inexistant malgré les 17 députés qu’il vient d’obtenir et qui sont davantage dus au mode de scrutin et à son intégration au soi-disant Frente popular qu’à son influence réelle dans la classe ouvrière (situation qui évoluera très vite à partir du début de la guerre civile et de l’aide massive apportée dès octobre 1936 au PC, et non à l’ensemble des combattants, par l’URSS).   

Le peuple a voté à gauche dans l’espoir d’en finir avec un régime qui a massacré les travailleurs asturiens en 1934 (Franco déjà) et avec la misère qui s’est encore accentuée dans tout le pays au cours du « Bienio negro » après la victoire de la droite en 1933. Cette victoire était due entre autres causes aux consignes traditionnelles d’abstention données par la CNT (contre les élections la révolution !).

 Cette fois les responsables de l’organisation syndicale y regardent à deux fois car la victoire de la gauche ouvrirait les portes des prisons ou quelque 30 000 détenus politiques et sociaux sont reclus et dont la majorité est membre de la CNT. Finalement après bien des tergiversations le mot d’ordre d’abstention est tellement discret que tous les adhérents comprennent qu’il faut aller aux  urnes.

Comme nous le raconte José Peirats, militant de la CNT, milicien de la Colonne Durruti, intellectuel autodidacte, dans sa monumentale trilogie « La CNT en la Revolución española », le peuple se réjouit fort de cette victoire, les prisonniers furent libérés, mais il y avait dans l’air frais de ce mois de février une inquiétude qui tempérait les manifestations de joie.

 Il était en effet de notoriété publique que les militaires, une majorité d’entre eux en tout cas, s’agitaient dans leurs casernes, que la droite et l’Eglise catholique apostolique et romaine participaient à cette agitation et n’acceptaient pas le verdict des urnes.

On le sait, le 17 juillet 1936 le soulèvement commençait au Maroc et se généralisait dans la péninsule les jours suivants. La guerre d’Espagne venait de commencer, la révolution aussi. Nous en reparlerons sans doute ce printemps.

Nos representan o no?

Nous sommes le mardi 16 février 2016. L’Espagne est ce que l’on appelle aujourd’hui une démocratie. Le roi (le fils de celui que Franco mit sur le trône et qui dut le quitter pour cause de corruption avérée) vient de charger le secrétaire général du PSOE Pedro Sanchez de former un gouvernement ce qui n’est pas une sinécure (voir les explications très pertinentes de Ludovic Lamant). Et pendant ce temps Pablo Iglesias et ses petits copains s’amusent comme des petits fous dans l’enceinte du « Palacio del Congreso de los Diputados » qu’ils semblent avoir investi et dans lequel ils semblent se mouvoir comme des poissons dans l’eau.

Ils semblent en effet bien s’amuser aux dépens essentiellement de Pedro Sanchez qui commence à passer pour un « bobo », un simplet, supportant affront sur affront de la part de la droite (il faut le voir la main en l’air alors que Rajoy, encore président, lui tourne le dos) mais aussi de la part de certains de ses camarades de parti comme Susana Diaz (Présidente d’Andalousie) qui fait tout ce qu’elle peu pour prendre sa place.

Ainsi viennent-ils de soumettre (large sourire de Pablo Iglesias) à Pedro Sanchez un document de cent pages, quelque chose comme un pacte de gouvernement où tout est prévu jusqu’aux ministères qui devraient revenir à  Podemos, Iglesias se réservant la vice-présidence.

Bien sûr ce texte, comme la pratique du fait accompli, est inacceptable pour le PSOE, d’où le large sourire de Iglesias. Il est inacceptable parce qu’il persiste à proposer la tenue d’un référendum sur l’indépendance en Catalogne ce qui n’est rien d’autre qu’un casus belli.

Alors ? Iglesias (car c’est lui le chef et de plus en plus chef) maintient ses propositions et pousse Sanchez dans les bras de Rivera (Ciudadanos) pour former un gouvernement minoritaire et ainsi démontrer, dans la perspective de nouvelles élections devenues inéluctables, que le PSOE n’a plus rien  d’un parti de gauche. Ou bien il renonce provisoirement à ce référendum et à quelques-unes de ses exigences ministérielles pour former un gouvernement minoritaire mais dit de gauche.

Bien sûr cette situation n’a rien à voir avec celle de février 1936 mais tout de même, n’a-t-on pas entendu la délicate insulte « rojos de mierda », rouges de merde, qui franchit ainsi ces 80 ans pour se retrouver dans une manifestation de policiers municipaux de Madrid mécontents de la réorganisation des services par la nouvelle municipalité proche de Podemos (dissolution du groupe d’intervention spécialisé notamment dans la répression des manifestations s’opposant aux  expulsions) ?

Peut-être serait-il temps alors d’arrêter de jouer au plus fin. Peut-être serait-il temps pour les « circulos », « la gente », les gens du commun quoi, de se faire entendre et de demander des comptes à cette nouvelle « caste » (ou qui pourrait bien le devenir) qui vient d’entrer au parlement et lui rappeler la clameur des indignés du 15M : « No nos representan ! »  

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