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Billet de blog 19 octobre 2019

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L'aporie touristique

Un journal vient de naître, ce qui est toujours une bonne nouvelle. Un journal indépendant, un journal local qui réfléchit planétairement : Le cuLOTté ! Un journal ancré localement mais ouvert au monde. Un journal, enfin, soigneusement réalisé. Le texte ci-après a été rédigé pour le N° 1. Je le livre ici en reconnaissance à toute l'équipe du cuLOTté.

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Illustration 1

J’aime beaucoup ce mot, « aporie » que les philosophes emploient pour désigner une « difficulté logique insoluble », une difficulté à laquelle se heurte la raison, une impossibilité à résoudre un problème et qui se traduit ordinairement dans la langue courante par le terme « impasse ». Une situation donc, tant intellectuelle que contingente , de laquelle on ne parvient pas à sortir. Nos voisins espagnols ont une jolie image pour désigner une aporie. Ils disent « callejón sin salida » (ruelle sans issue).

N’en va-t-il pas ainsi du tourisme de masse ? Ce phénomène sociétal ne nous enferme-t-il pas dans une aporie, dans une impasse de laquelle nous ne pouvons sortir sinon peut-être à reculons ? En effet l’aporie touristique peut, me semble-t-il, s’exprimer ainsi : chaque être humain sur cette planète devrait pouvoir, en toute justice, bénéficier de ces « vacances », de ces voyages, de ces plages et de ces montagnes prises d’assaut par une population privilégiée (essentiellement occidentale).

Mais alors, on le sait bien, la planète étant un espace limité déjà bien saccagé, qu’en serait-il si l’on satisfaisait à l’exigence de justice en faveur des milliards d’êtres qui « ne partent jamais en vacances », qui ne prennent jamais l’avion qui ne « croisent » pas sur les monstrueux « ferrys » déversant leurs déjections dans les mers et les océans, qui ne posent pas leurs serviettes sur des plages bondées, qui ne font pas la queue pour « faire » le mont Blanc et l’Everest ? Nous voici au cœur de l’aporie touristique : impossibilité d’en sortir en satisfaisant à l’impératif de justice.

Mais il est une autre dimension du tourisme de masse. Celui-ci, en effet, est responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre ce qui est énorme sans compter le saccage des mers, des océans et de la montagne et le bétonnage des sols pour permettre aux touristes de se déplacer plus ou moins confortablement, ce qui évidemment contribue à l’émission de particules fines et ultrafines lesquelles selon l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire et environnementale) sont responsables de 48000 morts prématurées par an car ces particules ne sont pas produites seulement par les gaz d’échappement mais aussi par « l’abrasion des systèmes de freins et des pneus sur la chaussée » (voir l’article de Sophie Bécherel sur franceinter.fr).

Et c’est dans ce contexte qu’ici, chez nous en Occitanie, la présidente Carole Delga veut faire de notre région « le Top 10 des destinations touristiques européennes » (https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/040819/lettre-carole-delga-votre-paradis-touristique-contribue-l-enfer-climatique). C’est ici à Souillac, dans le nord du Lot que Gilles Liébus (Président de CAUVALDOR) et ses amis veulent faire un « truc » (en réalité on ne sait plus trop quoi) d’abord baptisé « Cité de la mode et des produits de luxe » puis une « Cité de la Mode et des arts créatifs », le mot « luxe » ayant disparu on se demande bien pourquoi, tout cela dans le but de « revitaliser » le centre de Souillac.

Ce qui aboutit à une nouvelle réunion dite de « restitution » mercredi 28 août, convoquée par CAUVALDOR sur le thème de « Souillac  avenir » où il n’est plus question de luxe, de mode ou d’arts créatifs où il est même interdit d’en parler : « ce n’est pas le sujet ! Ce n’est pas le sujet ! » et où l’on subit un exposé technocratique d’un baroque décadent qui n’a que le mot « connecté » à la bouche applaudi cependant par une majorité de spectateurs, c’est bien le mot, (nombreux) présents.

Et c’est cela pour moi le plus triste, que des citoyens et des citoyennes puissent croire à de telles balivernes, qu’ils puissent croire des notables quand ils affirment que non, non, tout cela n’est pas fait pour attirer le touriste (de luxe ?) mais pour le plus grand bonheur des habitants (sauf qu’il n’y a plus d’habitants dans la vieux Souillac sinon quelques personnes âgées) et pour rajeunir la ville (sauf que selon les chiffres donnés par le maire lui-même, le chômage se situe autour de 22 % et le taux de pauvreté autour de 19 %).

Tout cela, on le voit, est très attractif et quand on aura « végétalisé » les vieilles rues pittoresques en y installant des pots de fleurs (comme c’est innovant!), décoré en trompe l’œil (authentique!) des boutiques vides et « connecté » tout cela à la Dordogne elle même connectée à la Borrèze qui est son affluent, nul doute que les jeunes se précipiteront en un si joli lieu. Pour y faire quoi ? « Des arts créatifs » c’est-à-dire des scoubidous ?

Triste, disais-je, tout cela serait bien triste s’il n’était des femmes et des hommes qui s’insurgent contre une telle décadence, comme cet enseignant et élu du Lot qui m’a autorisé à publier sa lettre ouverte adressée aux élus de CAUVALDOR, car il se passe aussi des choses du côté du lac du Tolerme

Objet : La du Tolerme : lettre ouverte aux élus de Cauvaldor

Très cher élus des crêtes,

Les bras m’en tombent !

« Avancement du projet d’implantation du groupe SANDAYA (Hôtellerie de plein air de prestige) sur le lac du Tolerme. Il s’agit de la création d’un concept de Resort nature avec hébergements touristiques et pôle aquatique adaptés à ce bel environnement. Investissement total de 15 millions d’euros, 20 emplois permanents et 100 emplois saisonniers en perspective ! » La lettre d’information interne de CAUVALDOR n°1 Août 2019

Alors que partout la planète brûle, victime de sécheresses et de températures élevées, victime de nos émanations de gaz à effets de serre, alors que tous les scientifiques nous alertent sur l’urgence de réduire notre empreinte carbone, voilà donc que les élus des crêtes que vous êtes portez des projets d’augmentation de parking, de béton, de route, de déplacements de véhicules… pour attirer le « riche » touriste.

Quelle folie, quelle irresponsabilité !

Après le projet inutile de magasins de luxe à Souillac, voici poindre celui d’un camping… pardon, d’une « Hôtellerie de plein air de prestige » sur le site du lac du Tolerme.

Vous perdez tout sens commun !

Vous agissez comme si nous étions dans les années 1960 /70, où il fallait bétonner, créer des routes et des parkings à tout prix. Prix que nous payons aujourd’hui.

Comment pouvez-vous être dans le déni des causes du réchauffement climatique, alors que nous sommes aujourd’hui tous informés des conséquences climatiques de ce type de projet ?

Laissez-le tranquille, le lac du Tolerme. Sa beauté, c’est son dénuement, sa frugalité, l’absence de ce genre de complexe touristique d’une laideur absolue.

Je n’aborde même pas le montant de l’investissement, cela devient passablement délirant. Le tout pour « 20 emplois permanents et 100 emplois saisonniers en perspective ! »

Je rêve : 20 emplois permanents, à l’année ? Mais où donc êtes-vous allé chercher ce chiffre ?

Même dans des lieux qui ont depuis longtemps succombé aux sirènes du tourisme, dans des lieux définitivement saccagés alors qu’ils étaient d’une saisissante beauté, les campings (même de luxe) ferment pendant des périodes de plusieurs mois.

Nous savons à quel point ces emplois sont d’abord des boulots précaires. L’argument de l’emploi pour tout saloper, cela suffit maintenant. Le Lot n’a pas vocation à devenir une « réserve » d’habitants au service du tourisme le plus laid qui soit. C’est même assez méprisant.

Travaillez plutôt sur des projets respectueux de l’environnement, au lieu de courir derrière les mirages du tourisme « Resort ». Jamais lu un mot aussi laid.

De vos crêtes, descendez donc, renseignez-vous un peu, documentez-vous, allez à la pêche aux informations : la Terre brûle.

Edmond Kober


La terre brûle en effet, mais heureusement partout dans le monde des jeunes et des moins jeunes s’insurgent contre le saccage de la planète, du climat, de la biodiversité et contestent ce tourisme débridé qui est une des causes majeures de la catastrophe qui vient. Ils s’insurgent pour tenter de sortir de l’aporie touristique et de toutes les autres impasses où nous a conduit un libéralisme fou, pour en sortir par le haut avant qu’il ne soit trop tard. Le haut, c’est-à-dire par le progrès vers un monde plus sobre. Là est l’espoir, dans cette insurrection pacifique, non-violente mais déterminée.

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