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Teresa Rodriguez laisse son siège de députée après huit ans de “politique institutionnelle” et elle dit ceci : je n’abandonne pas la politique parce que la politique ce n’est pas le parlement. Je retourne dans mon lycée (elle est professeure de Langue et Littérature) avec le sentiment d’avoir tenu parole. […] Nous l’avons dit bien souvent, la politique n’est pas un métier mais bien plutôt l’investissement temporaire d’une personne au service du commun. L’important c’est l’activisme et le militantisme. Je vous demande d’être plus qu’un individu qui vote et fait face quotidiennement à sa propre fatigue car nous ne nous sauverons que tous ensemble.
Combien ont perdu la vie en défendant l’idée toute simple que le bonheur de tous doit être au-dessus de l’égoïsme de quelques-uns ? Alors qui sommes-nous, nous, pour au nom de ces valeurs, occuper à vie un siège confortable. Les institutions de l’État sont une bulle de privilèges économiques et symboliques. (Teresa Rodrigue proposa de supprimer la “subvention à la salle à manger” des députés et de fixer le salaire de ceux-ci au niveau du salaire moyen de la population. Proposition refusée par la droite, les fascistes et le Parti socialiste...).
Elle poursuit : fouler les moquettes quotidiennement est un acte qui te transforme nécessairement. Tout à coup tu n’es plus la camarade ou la voisine de quiconque mais sa "señoría” (ainsi sont désignés les députés en Espagne), on te vouvoie et on te sert un verre d’eau avant même de l’avoir demandé.
Tout à coup les maux quotidiens de ton peuple ne sont plus que des notes dans un carnet, tu te découvres en train de répéter des tonalités pour le prochain discours à la tribune comme qui se prépare à un orgasme et tu regrettes que l’on ne reconnaisse pas ton sacrifice, que l’on dise “tous pareils” et tu te sens presque plus solidaire du pouvoir que de tes concitoyens et tu n’es pas loin d’adhérer au syndicat de la classe politique. Eh bien non, non et non !
Je laisse ce siège convaincue que les victoires qui importent furent magnifiquement anonymes : la journée de huit heures, le droit au repos, aux vacances, à la santé, à l’éducation, le 4D (1977, manifestation pour l’autonomie de l’Andalousie), le 15M (2011, mouvement des “indignés”) les grands pas du féminisme.
José María González, "Kichi", quant à lui, pénétrant pour la première fois dans le bureau du maire de Cadix qui serait désormais son poste de travail, s’exclama : mais c’est plus grand que mon appartement ! Puis il décrocha le portrait du roi Juan Carlo qui trônait là et le remplaça par celui de Fermin Salvochea, légendaire militant anarchiste qui fut maire de Cadix et président du Cantón (région autonome) en 1873.

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Car, comme il le chantait pendant sa première campagne électorale : “ Je veux être un maire comme Salvochea”. Et il le fut autant que possible : Je me souviens de l’envie et de la force avec lesquelles nous sommes entrés dans la mairie dit-il […] mais un maire ne peut pas changer la vie de ses voisins comme il aimerait le faire car de toute évidence d’autres variables de la vie réelle s’y opposent. Mais il est possible d’élargir les marges et cela nous l’avons fait.
Kichi et Teresa vont donc retourner à la vie ordinaire, à la vraie vie, dans leur modeste appartement du quartier populaire de La Viña sans pour autant cesser de militer pour une autre vie possible. Comment alors ne pas rappeler leur rupture avec Pablo Iglesias et Irene Montero (actuelle ministre de l’Egalité) quand ceux-ci firent l’acquisition d’une luxueuse villa dans une banlieue chic de Madrid. Dans sa lettre adressée à Juan Carlos Monedero , fondateur avec Iglesias de Podemos, Kichi dit ceci : je vais te proposer mon hypothèse. Je crois que les gens sont prêts à pardonner toutes nos erreurs, que nous soyons trop rouges (rojos) ou pas assez rouges […] mais ils nous pardonneront difficilement que nous nous trompions de camp […] car toi et moi nous le savons, il y a de multiples Espagne et la nôtre est celle des humbles.
Exemple à suivre que celui de Cadix, de Fermin Salvochea, Teresa Rodriguez et Kichi ? Sans doute car la politique ne devrait jamais être une profession. N’est-ce pas ?
(Texte rédigé à partir des articles de Raúl Bocanegra sur le site “Publico”.)