« Franco ha muerto. ».
C’est ainsi que le président du gouvernement, Carlos Arias Navarro, annonça la mort du dictateur, des sanglots dans la voix. Nous étions le 20 novembre 1975, Franco venait de mourir, enfin, mais dans son lit.
Tortilla de patatas
Aussi la presse espagnole de vendredi dernier rappelait-elle l’événement, certains organes (El País) sous la forme : « qu’avez-vous fait il y a quarante ans en apprenant la mort de Franco ? ». Ce ne fut pas à proprement parler une explosion de joie, la prudence était de rigueur. Bien sûr le champagne pétilla en Espagne mais les bouchons étaient retenus comme étaient retenus les rires et les manifestations de joie dans les prisons.
Salvador Puig Antich venait d’être assassiné au garrot moyenâgeux ( garote vil) dans la Modelo de Barcelone (2 mars 1974) malgré les manifestations et les protestations montant du monde entier et la longue nuit de veille d’une foule silencieuse devant l’ambassade d’Espagne. En vain, le vieillard en redemandait… du sang.
Nous célébrâmes la mort du caudillo entre copains dont certains étaient des réfugiés rencontrés dans les cours du département d’espagnol de l’université soixante-huitarde de Vincennes. Nous fêtâmes l’événement à la « tortilla con patatas », la prolétarienne omelette aux pommes de terre et au non moins prolétarien vin rouge, nous n’avions pas les moyens du champagne. Certains entonnèrent, tortilla au poing, le républicain « Hymno de Riego », El paso del Ebro (Ay Carmela…), «A las barricadas», « Hijos del pueblo » et « la Internacional »…
C’était il y a quarante ans, invraisemblablement, hier pour ainsi dire…
Cependant, parcourant cette presse espagnole, il me vient à l’esprit qu’elle ne souffle mot d’une autre mort survenue également un 20 novembre, le 20 novembre 1936, voici donc 79 ans. Il est vrai, ça ne fait pas un compte rond : la mort de Buenaventura Durruti, non pas dans son lit mais à la Cité universitaire, sur le front de Madrid.
En ce début de la guerre civile, Durruti, anarchiste de la FAI et anarcho-syndicaliste de la CNT, était sans le moindre doute le militant le plus connu du pays. Sa renommée dépassait de loin celle de la Pasionaria qui en ce premier automne de la guerre n’avait pas encore eu le temps de bénéficier de l’hyper croissance du PCE dopé aux hormones soviétiques.
Une balle venue d'ailleurs
Durruti tomba le 19 novembre alors qu’il venait de haranguer ses hommes ou, dit-on aussi, de renvoyer au combat des fuyards abasourdis par cette mitraille qui s’abattait, car l’enfer des combats de la Cité universitaire n’avaient rien à voir avec les échauffourées auxquelles ils avaient participé en juillet à Pina et Farlete sur la route de Saragosse.
Il s’abattit à l’instant où il remontait dans sa voiture. Depuis lors la question demeure sans réponse : d’où venait la balle qui le frappa dans le dos ? Balle perdue, balle fasciste, communiste, anarchiste ? Saura-t-on jamais ? Le héro fut transporté à l’hôtel Ritz transformé en hôpital et mourut le lendemain à 4 heures du matin.
C’était donc il y a 79 ans. Pas un mot dans la presse, l’an prochain peut-être pour les 80 ans du début de la guerre et de la révolution, ce sera un compte rond.
Fascismes d'hier et d'aujourd'hui
Mais j’allais oublier, ce 20 novembre 1936 tombait un autre homme dans le camp opposé à celui de Durruti : José Antonio Primo de Rivera était fusillé à Alicante après avoir été jugé par un tribunal populaire. Il était le fondateur de la « Falange », ce parti fasciste, national-syndicaliste comme il disait, syndicaliste parce que soucieux du bonheur du peuple (avant de prendre le pouvoir) mais national, patriote et prompt à désigner le mal absolu, le bouc-émissaire, l’anarchisme, le communisme et la démocratie.
Ne semble-t-il pas que notre fascisme postmoderne soit l’indigne héritier de cette « Falange » ? National, patriote, soucieux du peuple (avant de prendre le pouvoir) qu’il ne cesse de cajoler, seul a changé le bouc-émissaire, celui par qui tout le mal advient, il est maintenant l’étranger, de préférence immigré.
Décidément, ce 20 novembre est chargé d’histoire.