Voyons en effet si « unis nous pouvons ». Les prochaines élections générales du 26-J (26 juin) le diront. Ce qui n’avait pu se faire avant le scrutin du 20 décembre, cette union entre Podemos et IU (Izquierda unida, résidu du vieux Parti communiste d’Espagne essentiellement) s’est réalisée miraculeusement le 13 mai 2016 en compagnie des écologistes de EQUO et a été annoncé Puerta del Sol par de grandes embrassades entre les deux dirigeants Alberto Garzón et Pablo Iglesias. Comment se fait-il ?
Le pacte signé est sans doute le résultat de deux pressions, l’une extérieure concrétisée par un appel lancé à Podemos, IU et autres « confluences et plateformes» par une centaine d’intellectuels et d’artistes pour qu’ils se présentent unis aux élections, l’autre intérieure à Podemos, concrétisée par la divergence entre Iglesias et Errejón, secrétaire national chargé de la politique et numéro deux du parti.
Cette divergence est apparue au grand jour lors de l’éviction « fulminante », comme on dit là-bas (méthode que l’on croyait d’un autre temps) par Iglesias du secrétaire à l’organisation Sergio Pascual sous prétexte de ne pas avoir su gérer la situation quelque peu complexe du parti à Madrid.
Et comme par hasard il se trouve que Pascual était tout simplement le bras droit d’Errejón lequel, du coup, disparaît pendant une semaine. Mais voici que Pablo Iglesias nomme à ce poste Pablo Echenique, député au parlement régional d’Aragon et premier secrétaire de Podemos pour cette région. Ce qui est salué par la presse soit comme un sens aigu de la politique soit comme pur machiavélisme.
Car en effet Echenique fut, lors de la grande assemblée fondatrice de Vistalegre le 18 octobre 2014, le porteur avec Teresa Rodriguez de la motion « assembléiste » plutôt à consonances libertaires, opposée à celle de Iglesias plutôt « verticaliste » c’est-à-dire hiérarchique et autoritaire (comme on vient de le voir avec l’épisode Pascual).
Et Echenique a accepté cette responsabilité sans doute pour éviter le pire, l’éclatement de Podemos, de sorte qu’on le voit maintenant sur sa chaise roulante dernier cri accompagner son secrétaire général sur toutes les scènes et arènes d’Espagne.
Mais alors se demande-t-on de quelle nature est donc cette divergence entre Pablo et ĺñigo (les deux principaux fondateurs de Podemos avec Juan Carlos Monedero) qui a mis et met peut-être encore Podemos au bord de la rupture ?
Je ne suis pas sûr que l’on puisse écarter l’hypothèse d’une opposition de personnalités, l’un, Pablo, passablement exubérant, toujours en train d’embrasser quelqu’un et se laissant aller parfois à des dérapages malencontreux, l’autre, ĺñigo, plus réservé, moins agitateur, plus intellectuel froid, tout deux dotés cependant d’une égale facilité de parole et d’une véritable maestria dans les « tertulias », ces débats dont raffolent certains Espagnols.
Cependant il semble bien que la divergence essentielle concerne la stratégie politique et peut être même la théorie politique et qu’elle tourne autour de deux notions : la « transversalité » et le « populisme de gauche » prônés par Errejón (soutenu intellectuellement par la philosophe Chantal Mouffe) qui s’opposent au regroupement à gauche auquel s’est finalement rallié Iglesias sous les pressions évoquées plus haut mais aussi celles d’une base plus rassembleuse de la gauche que « transversaliste ».
Qu’est-ce donc que cette transversalité ? C’est un concept, fruit de la lecture de Ernesto Laclau (dont Errejón est un spécialiste) et de sa compagne Chantal Mouffe, augmentée de celle de Gramsci dont on s’approprie les notions « d’hégémonie culturelle » et « d’intellectuel organique ». La transversalité se donne pour objectif de transcender la traditionnelle opposition droite/gauche au profit de l’opposition Caste/Peuple, lequel peuple est alors désigné par le vocable « la gente » qui permet de s’adresser non seulement au « peuple de gauche » mais aussi et surtout à tout cet électorat populaire qui cependant vote à droite, autrement dit qui consent à sa propre domination.
Mais comment s’adresser à « la gente » ? Evidemment par le dispositif hégémonique le plus efficace : les médias et particulièrement la télévision. C’est donc avec l’objectif très précis de combattre l’hégémonie culturelle dominante au profit d’une culture affirmée de l’égalité et du partage que les fondateurs de Podemos se sont répandus sur les plateaux sollicités par les chaines dont l’audience croît immédiatement dès que l’un d’eux ou l’une d’elles participe à une « tertulia ».
En outre les élus du parti et des différentes confluences qui s’activent dans les régions autonomes ont décidé de prêcher par l’exemple en refusant indemnités et salaires mirobolants.
Le résultat de cette stratégie « transversaliste » et populiste (populiste en ceci qu’elle s’incarne en une personnalité particulièrement remarquable) n’a rien de négligeable puisqu’elle fait élire 69 députés au « Congreso de diputados ». Cependant l’objectif affirmé depuis le début « salimos a ganar » (nous sommes partis pour gagner) est loin d’être atteint puisque Podemos n’arrive qu’en troisième position derrière le PP (droite au pouvoir) et le PSOE.
L’alternative est alors la suivante : poursuivre la stratégie de transversalité et pour cela être plus accommodant avec le PSOE notamment en matière économique et sur la question du référendum d’autodétermination en Catalogne : c’est la position Errejón, ou se tourner vers la gauche pour créer une union en situation de dépasser le PSOE et, pourquoi pas le PP : c’est la position Iglesias approuvée à plus de 90% par les « círculos ».
C’est ainsi que vient de se sceller le pacte entre Podemos, IU, EQUO sous le mot d’ordre « Unidos Podemos » et c’est ainsi que l’on a assisté à ces embrassades entre Iglesias et Julio Anguita, ce dinosaure stalinien ex-secrétaire général du PCE qui fut maire de Cordoue pendant des années et à l’apparition en tête de liste pour Cordoue de cet autre antique mais alerte militant, Manolo Monereo, théoricien marxiste, docteur en sciences politiques, longtemps bras droit de Anguita, considéré par Iglesias comme l’un de ses « pères en politique» et…nouvelles embrassades.
Si l’on en croit les derniers sondages il semblerait que cette « union de la gauche » soit bien reçue dans le pays puisqu’elle dépasserait le PSOE ce qui obligerait celui-ci à se déterminer entre une attitude favorable à la droite et un « retour à gauche ». Mais nous n’en sommes pas là, la campagne débute à peine, les coups commencent à tomber dru et à voler bas.