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Billet de blog 27 avril 2020

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LES FRANÇAIS SONT DES ADULTES, OU LE PARI DE PASCAL

Je viens de recevoir un texte fort pertinent me semble-t-il de Jean-Paul Guichard, professeur d'économie émérite à l'université de Nice. Le voici: Une grande question agite la France, aujourd'hui : faut-il ou non ouvrir largement l'usage d'un médicament, un dérivé de la quinine, pour traiter des personnes infectées par le COVID-19 ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un professeur de Marseille qui utilise ce médicament pour certains patients prétend obtenir des résultats positifs très encourageants ; d'autres scientifiques, la majorité, prétendent au contraire que les résultats qu'il exhibe ne sont pas probants ; certains laissent même entendre qu'on se trouverait dans une situation où des quasi charlatans donneraient de « faux espoirs » à des patients crédules. Les autorités déclarent qu'il faut attendre les résultats d'une "grande étude européenne", à laquelle participe l'inserm, dont les résultats ne seront connus que dans quelques semaines, pour savoir si on peut autoriser ou non l'usage à grande échelle de ce médicament dont on saurait alors s'il est efficace ou non dans le traitement du COVID-19 ....

L'auteur de ces lignes, un vieux professeur émérite, pense que, dans l'immédiat, certains patients pourraient souhaiter faire le « pari de Pascal » en se faisant traiter selon un protocole incluant la chloroquine, comme le font le Maire de Nice et le Prince de Monaco. Pascal, l'un des inventeurs du calcul des probabilités : tout le monde a entendu parler de lui et de son "pari" ; oui, je sais, ce pari se rapporte à l'existence de Dieu, serait-ce là un « faux espoir » pour reprendre l'expression de la présidente d'un nouveau comité Théodule ?

Pascal nous dit qu'un être rationnel doit croire en Dieu car ,si celui-ci existe, il joue gagnant (le paradis) sans rien risquer dans le cas contraire : il en va quasiment de même pour la croyance en l'efficacité de la chloroquine1. Mais voilà, les autorités sanitaires du pays, et le Gouvernement qui les suit, ne veulent pas que soit laissée aux Français la liberté de faire de tels paris !

Il y a, parmi les spécialistes de la médecine/biologie/biochimie, un consensus et une divergence concernant l'utilisation de la chloroquine (j'utilise ce mot pour faire court, il s'agit d'un certain protocole de traitement). Le consensus : il faut une étude expérimentale débouchant sur une analyse statistique conséquente pour avoir des résultats significatifs. La divergence porte sur ce qu'il conviendrait de faire entre la date d'aujourd'hui et celle du résultat de l'étude. Cette divergence provient du fait qu'il y a deux pronostics (deux « paris ») très différents l'un de l'autre sur le résultat à venir de l'étude qui induisent deux conduites à tenir différentes dans l'immédiat : utiliser largement ou chichement la chloroquine.

Qu'il soit bien clair que je ne me situe pas sur le terrain des spécialistes (de la médecine/biologie/biochimie), que je respecte, en disant que les uns ou les autres auraient raison ou tort. Je pense que, les uns et les autres ont une démarche rationnelle, ce qui est bien normal puisque ce sont des scientifiques. 

Je me situe à la place du "patient" potentiel que je suis, qui lui aussi peut prétendre avoir une attitude rationnelle (pourquoi un "patient" serait-il plus "irrationnel" que celui qui le soigne ?) et je poserai, à ce sujet, une question d'éthique qui concerne la relation patient/soignant qui est en même temps une question éminemment politique.

Pour simplifier et éviter de personnaliser, je parlerai des "Parisiens" et des "Marseillais" . Les premiers font le pari (on est dans un univers incertain, c'est un pronostic), en fonction des informations dont ils disposent et de leur expérience, et de la façon dont ils traitent ces informations, que l'étude montrera que le protocole proposé par les Marseillais est sans effet, ou même qu'il pourrait avoir un effet négatif (augmentant légèrement le taux de décès, des effets néfastes pour une partie des survivants) : très logiquement, compte tenu de cette conviction, ils souhaitent que soit limitée le plus possible la mise en oeuvre de ce protocole pour les semaines qui viennent. A l'opposé, les Marseillais pensent (en fonction de leurs informations, de ce qu'ils ont lu, de leur expérience) que leur protocole va diminuer significativement le pourcentage de décès des patients traités et qu'il faut donc, sans attendre, l'administrer le plus largement possible. Les uns et les autres ont une démarche rationnelle parfaitement respectable. Seule l'expérience permettra de les départager. Toutefois, les uns et les autres sont convaincus d'avoir "la vérité scientifique", d'autant plus qu'il y a des enjeux de prestige et de pouvoir...

Dans L'attente des résultats de l'étude, le Gouvernement et les autorités sanitaires du pays ont opté pour le pari fait par la majorité des scientifiques parisiens : la chloroquine ne doit être administrée qu'à des patients atteints de lupus ou de rhumatisme articulaire, ou bien en milieu hospitalier à quelques patients atteints par le virus COVID-19 dans un état grave.

Dans cette affaire, certains patients potentiels, prenant acte de l'absence de consensus au sein du milieu médical, se disent que si Raoult et son équipe pensent que la chloroquine pourrait PEUT-ÊTRE avoir une influence bénéfique pour le traitement de la maladie, c'est qu'ils ont nécessairement quelques raisons de poser une telle hypothèse. Dès lors, ils considèrent que nous sommes ainsi dans le cas du "pari de Pascal".

Pour des gens qui sont menacés de mort, où est le risque ? (en dehors évidemment, pour certains patients, des risques liés à d'éventuels effets secondaires)

Les autorités sanitaires du pays, avec les mesures très restrictives qui ont été décidées, adoptent vis-à-vis de la population une ATTITUDE INFANTILISANTE INACCEPTABLE. On peut souligner de plus, que si la fameuse étude en cours devait démontrer, dans un mois, que la chloroquine est efficace pour le traitement du virus, une autre étude statistique ne manquera pas alors d'estimer le nombre de décès qui auraient pu être évités par une attitude plus permissive concernant son utilisation ! On devrait ici appliquer le principe de précaution et libéraliser l'utilisation de ce produit sous contrôle médical.

Les médecins et les scientifiques (et les autorités sanitaires) sont dans leur rôle lorsqu'ils font part aux patients des risques qui peuvent correspondre à tel ou tel traitement, dans une situation de grande incertitude ; néanmoins , ils ne devraient pas imposer leur choix : ceux qui sont menacés de mort devraient pouvoir être LIBRE de choisir leur PARI pour ce qui concerne LEUR VIE. 

Les Français ne sont pas des enfants, même lorsqu'ils sont malades.

Jean-Paul GUICHARD

Professeur émérite, Université de Nice

1On fait implicitement référence ici aux mathématiques de la décision, à la notion d'utilité espérée, à Bernoulli, Von Neumann, Morgenstern, Savage, jusqu'à Maurice Allais qui fut l'un de mes professeurs.

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