Inutile de tergiverser ! Inutile d’invoquer le « Brexit » ou je ne sais quelle « peur de l’inconnu » ou quoi encore ? Les causes de l’échec de Podemos aux élections de dimanche dernier sont à rechercher dans Podemos. Elles sont à rechercher dans la stratégie mise en œuvre par son chef (n’ayons pas peur des mots, c’est bien d’un chef qu’il s’agit) et son équipe dirigeante et dans l’acquiescement plus ou moins honteux, plus ou moins admiratif, des militants et adhérents du parti.
Une famille de militants
Voyons d’abord ce qu’il en est du chef : Iglesias a toujours été persuadé de la nécessité d’une figure charismatique pour incarner « le désir de révolution » comme il a toujours été persuadé qu’il était cette figure… puisque ses copains, ses camarades, ses collègues d’université et ses étudiants, subjugués par son talent oratoire, sa culture (pas seulement politique), sa personnalité hors du commun, le lui disaient.
Quant à lui, il n’était pas moins subjugué par ces héros qu’il apprit à admirer au sein même de sa propre famille, une famille de militants qui n’hésita pas à le prénommer Pablo en hommage au vieux Pablo Iglesias, le fondateur du PSOE, une famille dans laquelle il apprit à admirer les héros que furent les ancêtres, Pasionaria et Miguel Hernandez, puis bien sûr Fidel et le Che pour finir par admirer Chavez « el Comandante », comme il disait dans une interview à la télévision vénézuélienne, feignant d’ignorer le népotisme et la corruption de la famille Chavez en son fief de l’Etat de Barinas.
Après des années de militantisme (déjà au collège, raconte-t-il quelque part, il se disait plutôt libertaire, et ses classeurs étaient couverts de portraits de Durruti, encore un héros, anarchiste celui-ci, tombé le 20 novembre 1936 dans les combats de la Cité universitaire aux portes de Madrid) passant par le PC bien sûr et UI, découvrant un autre héros, Julio Anguita l’archéo-communiste-stalinien, qu’il retrouve voici peu et dans les bras duquel il tombe, en larmes.
De sorte qu’il n’est pas étonnant que, se saisissant du 15-M, avec l’aide de Lénine, de Gramsci, de Laclau, d’une pincée de Machiavel et de quelques copains et collègues universitaires, quand l’opportunité se présente, il se place d’autorité mais avec la bénédiction de ses apôtres, à la tête de cette cohorte qui s’élance à «asaltar los cielos » (à l’assaut du ciel).
Dégénérescence
C’est très exactement à ce moment-là, c’est-à-dire à l’assemblée de Vistalegre (le 18 octobre 2014) où sa motion préconisant une structure de parti « verticaliste », hiérarchisée et autoritaire, triomphe de la motion « horizontaliste », à consonances plutôt libertaires, soutenue notamment par Teresa Rodriguez et Pablo Echenique, c’est à ce moment-là, dis-je, que la dégénérescence (comme disait l’autre) commence.
La dégénérescence est celle qui guette tout pouvoir et d’autant plus qu’il est plus autoritaire et hiérarchisé, que l’autorité du chef n’est pas contestée ou ne l’est que du bout des lèvres. Le processus de dégénérescence culmine, si j’ose dire, fin mai, quand Iglesias décide l’éviction « fulminante » de Sergio Pascual jusque-là secrétaire à l’organisation mais surtout, surtout, bras droit de Errejón, le numero deux du parti, qui exprime de plus en plus ouvertement son désaccord avec la stratégie et la pratique iglésiste (grosso modo : « transversalité » de Errejón vs « union de la gauche » de Iglesias).
Et cette dégénérescence se repère et se manifeste dans l’évolution même du lexique podemiste, c’est-à-dire iglésiste, dès Vistalegre me semble-t-il : nombreux en effet sont les observateurs qui ont noté l’abandon progressif du terme « casta » qui fonctionnait avec « la gente » en toute « transversalité » c’est-à-dire en tentative d’effacement du vieux clivage gauche/droite au profit de l’opposition dominants/dominés, en tentative enfin de constituer «la gente » en Peuple c’est–à-dire en instance apte à s’autogouverner. Si le mot « caste » se voyait ainsi évacué on n’entendait plus, non plus et significativement, le mot « círculo » ces groupes de base qui se voyaient ainsi eux aussi évacués au profit de la seule intervention en toute matière et en tout lieu de celui qui était devenu « le guide », en quelque sorte « el Comandante ».
Le fiasco
La question est maintenant la suivante : où est passé ce gros million de suffrages que l’union Podemos-UI laissait espérer. Un audit vient d’être commandé par Podemos pour tenter de le savoir. En attendant les hypothèses vont bon train dans les commentaires de la presse et des réseaux sociaux. Commentaires apitoyés ou virulents dont certains vont jusqu’à exiger la démission de Pablo ce qui n’est pas à mon sens une extravagance, je vais y revenir.
En effet si la responsabilité des dirigeants dans ce fiasco (oui je sais, c’est tout de même un beau résultat pour un parti qui n’a pas deux ans d’âge, etc., etc.) ne fait pas de doute, celle des militants et adhérents, de toutes celles et ceux qui ont consenti à plus de 80% à une structuration autoritaire du parti, celles et ceux, ravis de se rassembler sur les places pour scander « Sí se puede ! » et « El Pueblo unido jamás será vencido ! » et de chanter « A galopar », celles et ceux qui ont cru à l’union avec UI, avec ces vieux communistes rancis (même quand ils sont jeunes), cette responsabilité collective ne fait pas de doute non plus.
A ce propos il me semble opportun de rappeler deux points d’histoire : L’Espagne a été le seul pays où à la fin du 19e siècle et dans la première moitié du 20e, Bakounine a vaincu Marx (pour le dire ainsi en ces temps de compétition à tout propos) de sorte que le Parti communiste espagnol était très faible au début de la guerre civile (quelque trente mille adhérents face au million et plus de la CNT anarcho-syndicaliste et autant ou presque de l’UGT socialiste) et que malgré les gesticulations eurocommunistes de Santiago Carrillo puis de Julio Anguita il disparait aujourd’hui sous le sigle UI.
Abstention militante
D’où l’on peut déduire et penser que nombre de votants potentiels de Podemos ont refusé de voter à l’ombre du drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau que l’on a vu ondoyer dans quelques manifestations car rappelons-nous le 15-M : les drapeaux ça suffit ! Mais nombre aussi de militants et adhérents communistes ont refusé de porter au pouvoir un énergumène finissant par se déclarer… social-démocrate.
Par ailleurs il n’est pas inutile de noter qu’il est en Espagne une tradition (bakouniniste ?) de l’abstention politique, c’est-à-dire militante. Ainsi le 16 février 1936 le « Frente popular » remporte les élections générales grâce à la non-abstention du puissant mouvement libertaire qui consent à aller aux urnes non par adhésion à cette démocratie bourgeoise, comme l’on disait alors, mais pour faire libérer les quelque trente mille prisonniers politiques qui peuplaient les prisons du pays.
Je ne sais pas où est passé ce million d’électeurs qui a manqué à Unidos Podemos mais il n’est pas, je crois, absurde de penser que la défiance vis-à-vis de celui qui est devenu un «caudillo» qui, abandonnant « caste » et « círculos » pour en arriver à embrasser avec effusion, les larmes aux yeux, de vieux staliniens (et même des jeunes) puis invoquant les mânes de Marx et Engels pour se retrouver social-démocrate et, j’allais oublier, patriote comme pas un, que cette défiance, donc, soit une des raisons de « l’abstention militante ».
Rappelons-nous en effet le 15-m : « No nos representan ! », les communistes comme les autres ne nous représentent pas. Et aussi : Revolución ética ! Il s’agissait en effet d’en venir à une éthique en politique c’est-à-dire à une éthique de la vie dans la cité. Pablo Iglesias et ses camarades, tous ceux et celles qui subjugués par son verbe l’ont aidé à se construire en tant que chef, en tant que guide, tous ceux-là, ont peut-être songé certains abstentionnistes, ne nous représentent pas non plus.
Je terminais mon précédent billet en posant la question : alors Pablo, Parrèsiaste (selon Foucault, celui qui a le courage de parler vrai) ou Démagogue ? Sans doute ni l’un ni l’autre mais producteur de confusion en conséquence d’un violent désir de pouvoir, raison suffisante, puisque le principe de révocation des responsables est un des fondements de Podemos, pour qu’il envisage de se révoquer lui-même…