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Billet de blog 31 mai 2023

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Espagne : le consumérisme fascisant

Alors que son économie n'a jamais été aussi florissante, que l'Espagne passe même dans certains domaines sociétaux pour un exemple en Europe, voici que la droite fascisante triomphe. Comment se fait-il ?

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Hausse du salaire minimum de 47% au cours de la législature, inflation la moins importante d'Europe (4%), chômage en baisse quoique encore à 13%, mesures sociales posées en exemple notamment pour ce qui concerne la lutte contre l'inégalité homme/femme, la protection des femmes victimes de violences conjugales, la défense des minorités...Tout cela balayé d'un revers de scrutin local qui porte au pouvoir dans de nombreuses villes et régions non seulement la droite fascisante du PP (Partido popular) mais aussi le fascisme le plus décomplexé.

De sorte que les analyses vont bon train qui (sauf exception?) tentent d'expliquer le cataclysme par des considérations d'ordre politique voire politiciennes : division de la gauche, effondrement du parti plus ou moins centriste « Ciudadanos» dont les électeurs sont récupérés par la droite, incapacité de la gauche dite radicale (ce qu'il reste de Podemos notamment) à produire et faire entendre un discours alternatif à même de contredire la fameuse « hégémonie culturelle » du libéralisme triomphant malgré les références appuyées à Gramsci dont le portrait figurait il n'y a pas si longtemps sur les couvercles des ordinateurs de certains leaders de Podemos.

C'est là, me semble-t-il, opérer une fort malencontreuse réduction à l'Espagne d'un phénomène qui dépasse les frontières non seulement en Europe mais peut-être bien dans le monde, phénomène que je propose de définir en tant que « consumérisme fascisant » car il est porteur d'une idéologie ou si l'on préfère d'une sous-culture du désir créée et alimentée par une propagande (au sens étymologique) chatoyante qui instaure et perpétue un régime de « publocratie » (Zhao Tingyang) au sein duquel la satisfaction du désir préfabriqué s'opère dans et par le mercantilisme spectaculaire.

Mercantilisme qui lui-même s'instaure comme jubilation dans la mesure où l'acte même d'acheter, de « commercer », au-delà de la satisfaction procurée par la possession de l'objet convoité se donne comme plaisir, comme jubilation, comme « bonheur » certes furtif mais incessamment renouvelable.

Il n'est pour s'en convaincre que d'observer dans ces « grandes surfaces », musicalisées et spectacularisées, des plus humbles aux plus huppées, particulièrement aux jours bénis des « soldes », l'avidité qui se peint sur les visages de « consommateurs » se jetant sur la marchandise exposée, offerte.

Mais alors est-on en droit de s'interroger, en quoi ce consumérisme frénétique peut-il être qualifié de fascisant ? Il importe alors de préciser ce que l'on entend par fascisme tant ce terme a donné lieu au cours de son histoire à de multiples définitions et interprétations.

J'entends donc, ici et maintenant, par fascisme (ou néo-fascisme si l'on préfère) une idéologie qui repose sur les trois piliers suivants : l'autorité absolue concentrée au sommet de l'État et incessamment confortée par le culte du chef. Le nationalisme qui implique et suscite le sentiment de supériorité par rapport à l'autre vu comme ennemi potentiel et orné du patriotisme, de cet absurde « amour de la patrie », absurde puisque nul ne choisit le lieu de sa naissance et, enfin, la désignation d'un bouc-émissaire, Juif, communiste, anarchiste, Arabe, Noir, etc.

Trois piliers cimentés par la peur. Peur de perdre le peu (à plus forte raison le beaucoup) acquis, ces « petits plaisirs » dont on craint que  « l'ennemi » ne vienne s'emparer et que l'on tente de maîtriser par l'appel à un Etat fort mais en retour peur de la brutalité de cet État dont on pressent qu'elle pourrait s'exercer sur soi-même, peur de cette violence qui se donnant comme « légitime » peut se déchaîner à chaque instant.

C'est ainsi que le consumérisme fascisant, flattant l'égotisme et le solipsisme qui fait du moi personnel toute la réalité, se porte sans cesse au devant du désir, le suscitant par sa propagande frelatée et d'autant plus efficace qu'elle en appelle inéluctablement à la force étatique c'est-à-dire au fascisme protecteur. Car, prudence, il ne s'agit pas ici du désir spinozien, cet « appétit conscient de lui-même » et en cela libérateur puisqu'il est tout entier « persistance dans son être » mais du désir vulgaire et arrogant qui exige la satisfaction immédiate et égoïste de « petits plaisirs ».

Il se pourrait bien alors que les élections locales qui viennent de se dérouler en Espagne soient une illustration pertinente de la progression de ce mercantilisme fascisant. Barcelone par exemple où Ada Colau vient d'être rejetée pour avoir osé s'attaquer à ce tourisme répugnant de hordes alcoolisées souillant de leurs vomissures les pittoresques ruelles du « Barrio Gótico » et pour avoir osé affronter le « petit plaisir de la bagnole » polluant le monde en tous lieux et à toute heure.

Et Madrid où cette dame Ayuso fasciste sans le moindre complexe brillamment réélue à la tête de la région malgré un système de santé et une institution éducative qu'elle a conduits à la catastrophe, réélue pour des raisons strictement inverses à celles qui ont provoqué la défaite de Colau. Ou Valence, ou Séville, ou Cordoue...

Mais il est une autre dimension du mercantilisme fascisant, celle du déni de cette réalité pourtant si évidente de l'extinction progressive et rapide de toute vie sur cette planète. A cet égard, plus que tout discours me paraît significative et symbolique la réaction d'un actionnaire de Total (ici) proférant « je me fous de votre planète ! » à la face de militants tentant de lui expliquer ce qu'il en est des désastres commis par Total.

En sommes-nous là ? : plutôt la mort que le renoncement à quelques « petits plaisirs » ?

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