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Billet de blog 4 avril 2023

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Une majorité numérique pour quoi faire ?

Une proposition de loi a été adoptée en première lecture à l’assemblée nationale début mars 2023, celle-ci pose entre autres choses l’idée d’un âge minimal pour s’inscrire sur un réseau social. Cette loi, qui a recueilli la quasi-unanimité des député.es présent-es, serait un véritablement bouleversement des pratiques de jeunes générations si elle venait à être appliquée.

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Une proposition de loi a été adoptée en première lecture à l'Assemblée Nationale début mars 2023, celle-ci pose entre autres choses l’idée d’un âge minimal pour s’inscrire sur un réseau social. Il s’agit donc pêle-mêle, pour protéger les plus jeunes de la dépendance, du cyberharcèlement ou de l’autodénigrement, d’interdire au moins de 15 ans l’accès aux principales sources d’information des jeunes. En effet, selon une étude de CSA de novembre 2022, les réseaux sociaux sont  pour 62 % des ados la première source d’information : https://csa.eu/news/les-adolescents-et-linfo/

Cette loi, qui a recueilli la quasi-unanimité des député.es présent-es, serait un véritablement bouleversement des pratiques de jeunes générations si elle venait à être appliquée. L’usage des réseaux est ainsi très répandu dès 10 ans et, alors qu’une interdiction théorique frappe déjà les enfants de moins de 13 ans, il y a pourtant 63 % d'entre eux qui ont au moins un compte sur un réseau social comme le rappelle, lui même, le texte de loi.

Si la volonté protectrice de la loi semble aller dans le bon sens, il ne faudrait pas oublier que ces canaux, dont on veut interdire l’accès aux pré-adolescent-es, restent aussi leurs principaux outils de communication, qu’il s’agit non seulement de lieux d’information, mais aussi d'espaces de création, de partage, d’émancipation et d’initiation entre pairs. En d'autre terme d'un lieux d'épanouissement. Comment au XXIe siècle peut-on penser qu’un tel changement pourrait être décidé par une simple loi ? Un tel choc culturel ne peut pas être opéré grâce à un texte si réducteur et cela quelle que soit sa bienveillance première. Au delà de cette limite déjà notable, il existe beaucoup de points négligés par la réflexion de nos élu-es.

En effet, le texte n’engage jamais concrètement la responsabilité des grands groupes internationaux, en dehors de la simple vérification de l’âge de leurs utilisateurs. Quid par exemple du très grand nombre de comptes déjà créés pour lesquels il a été si facile de mentir sur son âge ? Tik-Tok, Instagram ou Youtube mèneront-ils une enquête a posteriori auprès de leurs milliards d'utilisateurs-trices ? Le texte ne cherche pas non plus à engager la réflexion des parents qui sont souvent à l’initiative de la création des premiers profils de leurs enfants, au contraire il leur laisse encore la possibilité de continuer à le faire si bon leur semble. Le texte ne s’interroge pas plus sur l’éventualité de suggérer à ces réseaux des pratiques dignes d’une société moderne (respect des personnes et des idées, protection des mineurs et des minorités, lutte contre la désinformation…). Les GAFAM auraient encore trop à y perdre. En effet, contrôler la ligne éditoriale d’un réseau social suppose d’énorme moyens humains et surtout risquerait de générer une trop grande perte d’utilisateurs-trices mécontent-es de ces nouvelles règles.

Enfin, le texte néglige aussi l’éducation aux médias et à l’information.

Et c’est bien là le plus gros problème, il y a ici un déni évident du réel, que faire si la loi n’est respectée ni par les jeunes de moins de 15 ans, ni par leurs parents, ni même par les réseaux ? Une petite amende pour les grands groupes est certes évoquée, mais elle reste limitée en cas de non respect de la loi, et surtout les critères permettant la vérification de l’âge des usager-es demeurent tellement flous, qu’elle ne sera en aucun cas contraignante. Pense-ton réellement qu’Elon Musk se pliera à la volonté du peuple français et des ses représentant-es, alors même qu’il tend un doigt d’honneur à toutes les règles de déontologie depuis son rachat de Twitter.

Par ailleurs, ce texte déresponsabilise complètement les réseaux sociaux de leurs obligations, il est nécessaires de rappeler encore et encore qu’ils sont devenus de fait des médias à part entière, et que par conséquent ils se doivent de faire respecter un certain nombre de règles de déontologie, sinon quoi ils pourraient tomber sous le coup de la loi. Par exemple, en cas de provocation à la haine. Or si la loi reprend dans son intitulé le fait de « lutter contre la haine en ligne », il n’en est nullement question dans les faits.

L’éducation aux médias et à l’information, portée aux nues si souvent et à qui on donne si peu de place réelle dans l’Éducation nationale, devrait pourtant pouvoir répondre le plus efficacement aux problématiques soulevées par cette loi. En effet, nous devrions avancer vers un usage raisonné et conscient des réseaux pour les pré-adolescents par le biais d’un apprentissage concret. Cela passe par un accompagnement parental quotidien et par un travail à l’école pour définir collectivement les bons usages, pour connaître les lois qui s’appliquent sur les réseaux comme ailleurs et pour construire des réflexes chez les élèves, et ainsi se prémunir du harcèlement, de la pédocriminalité ou encore de la désinformation. Mais non on préfère interdire que les mettre en capacité d'agir.

À bien des égards, nous aurions véritablement besoin d’une réflexion plus poussée sur le sujet, plutôt que d'un dérisoire barrage contre le Pacifique. On ne s’oppose pas à un fait de société de manière si désinvolte. Notre travail d’enseignant-es serait plutôt d’accompagner aux mieux nos élèves à comprendre les dangers potentiels des réseaux pour mieux s’en prémunir, plutôt que de dire : « n’en parlons pas, de toute façon cet interdit alors ça ne vous concerne pas ».

Cette voie de l’hypocrisie a déjà fait la preuve de son innefficacité avec l’interdiction de l’usage des téléphones portables dans les collèges et les lycées en 2017. On en rit encore, jaune, tellement cette mesure n’est suivie d’aucun d’effet, et pire encore puisqu’il est admis que l’interdiction des dits téléphones prévaut sur l’éducation, nos élèves continuent de s’en servir et parfois à mauvais escient. Qui peut leur en vouloir ?

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