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Billet de blog 27 août 2023

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« Tant qu’il y aura des élèves »

Deux décennies après la sortie du livre d'Hervé Hamon qui portait ce titre, c'est devenu pour moi une maxime. J’aime me répéter cette phrase : « Tant qu’il y aura des élèves »... à chaque coup au moral, à chaque attaque de notre propre ministère, à chaque fois qu’un collègue dénonce les méfaits de sa direction à la permanence syndicale.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand on travaille dans un collège, a fortiori quand il est considéré comme difficile, les moments de tension sont fréquents, les conflits sont vifs, soudains et brutaux ; alors il est bon de se rappeler que nous sommes là pour les joies que nous procurent quelques moments de grâce presque anodins.

Quand A., un élève tendre et souriant, vous demande si vous serez bien là au bal des troisièmes pour vous dire au revoir.

Quand vous croisez R. dans la rue, qu'il est enfin ravi d’aller à l’école pour son CAP pâtisserie, alors qu’il passait sa vie à courir dans les couloirs plutôt que d’aller en cours. Ou bien quand les élèves sont si heureux·ses de découvrir leur article dans le journal du collège après tant d’efforts.

Autant de moments de partage qui permettent de se sentir utile en tant qu’enseignant·e. Étymologiquement, enseigner c’est marquer d’un signe, laisser une trace même fugace. On peut préférer la métaphore du semeur et de la semeuse. Des graines qui peuvent parfois mettre des années à germer ; le simple fait de les voir s’épanouir, même dans le jardin d’à côté, suffit à redonner du sens à notre métier.

En effet, au quotidien nous avons souvent l’impression d’apparaître comme les gardien·nes d’une prison dont nous serions nous-mêmes prisonnier·es. Serions-nous des agents oppresseurs de l’État capitaliste et raciste qui reproduit les inégalités et les discriminations au lieu de les combattre ? Il est courant que certains élèves nous perçoivent comme tel·les, car au-delà des différends adultes/ado habituels, bien souvent nous sommes aussi les seul·es représentant·es de l’État qu’iels croisent régulièrement, en dehors de la police. Nous sommes donc les réceptacles de leur colère, de leur frustration à l’égard de cette société qui ne laisse pas de place.

Bien heureusement, la très grande majorité d’entre elleux réussissent à faire un pas de côté pour distinguer l’enseignant·e de l’oppresseur, du colon ou du maton. 

C’est K. avec qui on a eu un accrochage le matin et qui vous interpelle à l’autre bout de la rue d’un grand « Bonjour monnnnsieur ! » quand vous le recroiser trois heures plus tard.

C’est J. qui réalise une affiche pour parler de son livre préféré malgré sa situation de handicap, six mois après l’avoir commencé, abandonné, recommencé, jeté, et finalement achevé.

C’est A. cet élève de 4e qui après trois années compliquées avoue enfin : « Avant j’étais un animal ».

Alors, tant qu’il y aura des élèves nous pourrons encore garder l’espoir de changer un peu le monde. En tout cas jusqu’à ce qu’il soit définitivement détruit ou que l’éducation nationale soit définitivement trop abîmée par celleux qui prétendent la défendre en la réformant. Cependant, peut-on encore parler de réforme quand les décisions du ministère se prennent contre les enseignant-es, aux dépends des élèves et au profit de l’école privée ?

Il y a vingt ans, Hervé Hamon disait que "tant qu’il y aurait des élèves" cela valait le coup de se battre pour l’éducation nationale. Il faisait écho à un précédent livre publié il y a 40 ans : Tant qu’il y aura des profs. Les profs étaient alors perçu·es comme les colosses permettant au système de se maintenir envers et contre tout. À mon sens, des élèves sans profs qualifié·es et hautement dévoué·es à leur mission, et des profs sans élèves enthousiastes, curieux·ses et reconnaissant·es sont tous·tes condamné·es à l’échec. La pédagogie et l’École de manière générale, c’est avant tout une rencontre, que celle-ci ait lieu tout de suite ou en différé, il faut tout faire pour qu’elle se produise.

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