Pendant ces dernières années, les neurosciences ont bénéficié de l’évolution rapide de la microbiologie et du microbiote, apportant de nouvelles perspectives à la pathophysiologie des maladies neuro-développementales.
Le concept de l'origine développementale de la santé et des maladies (« DOHaD », pour Developmental Origins of Health and Disease) [1] propose que les circonstances des premiers instants de la vie puissent impacter dramatiquement la santé des enfants. Une combinaison de prédispositions génétiques et de facteurs environnementaux [2] peut avoir des effets délétères sur le programme neuro-développemental des nouveaux nés, prédisposant les individus à des altérations comportementales et cognitives durables. Ceci a été décrit chez des enfants avec TSA [3], avec trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) [4, 5], ou syndrome de Rett [6].
La pathogenèse neuro-psychiatrique du TSA a été étudiée de manière extensive. Cependant, l’étiologie de cette pathologie n’a pas été totalement élucidée [7].
Il n’existe pas de biomarqueurs fiables bien établis pour le TSA et le diagnostic est effectué sur la base des symptômes comportementaux typiques et les capacités neurocognitives [8]. Le TSA est reconnu comme un trouble neuro-développemental associé à des modifications de la communication dans l’axe intestin-cerveau. Le système nerveux entérique composé de millions de cellules nerveuses dans l’intestin est connecté au système nerveux central via le nerf vague et ainsi se forme l’axe intestin-cerveau [9]. Cette communication dans l’axe intestin-cerveau se fait par l’intermédiaire du système nerveux autonome, du système nerveux entérique, des hormones et des réponses immunitaires. Des symptômes gastro-intestinaux sont observés chez une grande proportion (plus de la moitié) des individus diagnostiqués avec TSA. Une dysbiose du microbiote intestinal est l’une des causes de beaucoup de troubles gastro-intestinaux tels que la constipation, la diarrhée, la douleur abdominale, le reflux, le vomissement [10]. Des études récentes ont indiqué des altérations dans la composition du microbiote d’enfants avec TSA, suggérant que la dysbiose observée contribue aux désordres du système gastro-intestinal et du système nerveux central [11-13].
Une récente revue systématique [14] des études utilisant l’intelligence artificielle a montré que les données actuelles sont insuffisantes pour fournir un prognostic fiable du TSA chez les enfants et les adolescents. Cependant, une abondance faible des bacteries Bifidobacterium, Bacteroides, Prevotella, Ruminococcus, Lachnospira et Clostridium a été confirmée dans le TSA. Bifidobacterium est possiblement le marqueur bactérien le plus clairement impliqué dans le neuro-développement du TSA [15-21].
Si la composition du microbiote intestinal est difficilement utilisable comme outil diagnostic du TSA, comme souligné par Jean Vinçot dans son blog du 5 janvier 2025, son importance dans la pathogenèse de nombreux désordres neurologiques incluant le TSA a été abondamment documentée.
Glyphosate et autisme
La prévalence u TSA a augmenté dramatiquement pendant ces deux décennies passées, en forte corrélation avec l’augmentation dramatique de l’utilisation du glyphosate (Gly), l’ingrédient actif de l’herbicide Roundup [22]. Une enquête récente du CDC, le Centre de contrôle et de prévention des maladies aux USA rapporte une prévalence pour l’autisme de l’enfant de moins de 8 ans sur 36 alors qu’elle n’était que de 1 sur 150 en 2000 [23].
Bien sûr, la corrélation ne prouve pas la causalité, mais il est aujourd’hui avéré que le Gly produit des problèmes de développement, renforçant les corrélations temporelles. Dans une étude épidémiologique, des enfants nés à moins de 2000 m d’une source agricole de glyphosate avaient un risque accru de développer le TSA [24 et mes blogs de novembre 2023]. Alors que beaucoup d’autres facteurs génétiques et environnementaux contribuent au TSA, le Gly peut être la cause la plus significative de l’épidémie constatée. Il a été largement proposé que le Gly modifie la composition en microorganismes dans l’intestin, créant un déséquilibre des bactéries bénéfiques ou dysbiose [25 et mon blog du comme. Il a été constaté une diminution du nombre total de bactéries intestinales après une ingestion orale répétée de doses de Gly chez la souris [26], avec une surabondance de Bacteroidetes par rapport à Lactobacillus. D’autres études chez la vache, le cheval et l’abeille ont montré que l’ingestion de Gly dans l’eau de boisson modifie le microbiote intestinal, favorisant certaines pathologies. Des bactéries intestinales bénéfiques telles que Enterococcus faecalis, E. faecium, Bacillus badius et B. Cereus ont été montrées sensibles au Gly, alors que des bactéries pathogènes comme Escherichia coli, Salmonella enteriditis , S. typhimurium, S.galliarum et les espèces Clostridium ont montré une résistance marquée à Gly dans des expériences chez le poulet [27].
La population d’individus sains en développement est considérée comme étant la plus vulnérable aux polluants environnementaux parce que leurs systèmes immunitaires, digestifs et neurologiques ne sont pas totalement développés. L’exposition à tout contaminant de l’air, du sol ou de l’air peut endommager le processus de développement physique ou mental que l’on peut attribuer à Gly. Les enfants peuvent consommer le Gly dans leurs céréales, provoquant un déséquilibre de leur microbiote intestinal, comme il a été montré dans des expérimentations animales mettant en évidence une augmentation des comportements reliés à l’anxiété et la dépression [26]. Les symptômes gastro-intestinaux présents chez les enfants avec TSA ont été reliés à une altération du microbiome intestinal avec une forte abondance de bactéries pathogènes et des problèmes gastro-intestinaux [28].
Importance des stades précoces de la vie
Il est connu que la colonisation microbienne commence pendant le développement prénatal dans l’utérus de la mère, dans le placenta [29] et dans le liquide amniotique [30]. Certaines espèces bactériennes passent par le lait des mères allaitantes [31]. Chez les enfants prématurés, la première colonisation microbienne de l’intestin commence à la naissance. Pendant la première année, un microbiote complexe et unique se développe pour se stabiliser vers 2-3 ans. La période intra-utérine pendant la grossesse et la période post-natale sont critiques pour le développement du microbiote de l’enfant avec des répercussions à vie sur sa santé globale. Le cerveau des nouveaux-nés s’accroit de 36% à 90% de son volume futur adulte jusqu’à l’âge de 2 ans. Par conséquent, l’établissement d’une population microbienne saine prend le même temps que le développement du cerveau [10].
L’intervalle entre la conception et la gestation est une période cruciale pour le neuro-développement du fœtus. Durant cette période, plusieurs facteurs tels que la qualité de la diète, une infection microbienne et le stress métabolique peuvent conduire à une dysbiose du microbiote maternel qui peut influencer un développement neurologique anormal du nouveau-né, conduisant à des déficits comportementaux pour le restant de la vie [32]
Le mode d’accouchement est très important : les enfants nés par voie vaginale présentent une composition de bactéries saines supérieure aux enfants nés sous césarienne [33]. Les enfants nés par voie vaginale sont exposés aux bactéries vaginales de la mère, alors que les enfants nés par césarienne sont exposés à la flore de la peau de la mère et aux microorganismes environnementaux.
A la naissance, le microbiote du fœtus est sensiblement identique à celui de la mère. A ce stade, les lactobacilles sont les premiers colonisateurs de l’intestin de l’enfant, mais les populations microbiennes divergent ensuite selon le mode d’accouchement. Il a été montré que chez les enfants nés par césarienne, la composition microbienne se trouve altérée dans les premiers jours et pourrait retarder l’adaptation neurologique de l’enfant [34, 35]. Une étude méta-analyse, montre que un enfant né par césarienne a 23% de risque de développer un TSA en comparaison avec un enfant né par voie naturelle [36]. Ces résultats ont été largement confirmés par une étude sur une population multinationale incluant 5 millions de naissances en Norvège, Suède, Danemark, Finlande, Australie et une observation de chaque participant pendant 36 à 42 semaines. Il a été observé plus de 31.000 cas de TSA, ce qui conforte l’hypothèse que l’accouchement par césarienne possède un risque plus élevé de TSA que l’accouchement vaginal [37].
Approche thérapeutique par transfert du microbiote
A l’heure actuelle, il n’y a pas de traitement medicamenteux dont l’efficacité a pu être démontrée pour les symptômes majeurs du TSA [38]. Les interventions médicamenteuses, sont utilisées pour atténuer les problèmes concomitants de régulation comportementale et émotionnelle chez les patients autistes, tels que l’aripripazole et la risperidone. Cependant, ces traitements peuvent causer des effets secondaires, les plus courants concernant l’appétit, le poids et le sommeil. C’est la raison pour laquelle, le traitement du TSA nécessite une exploration plus poussée et des thérapies alternatives additionnelles.
Les études récentes ont montré l’importance de l’axe microbiote intestinal-cerveau dans le TSA et que celui-ci peut peut être considéré comme une cible potentielle pour des interventions thérapeutiques. La recherche sur les effets thérapeutiques de la transplantation du microbiote fécal chez les individus avec TSA reste limitée et des publications récentes rapportent des données cliniques montrant l’efficacité observée avec une telle approche chez des enfants. Dans une étude portant sur 98 enfants, pendant les 8 semaines suivant la transplantation réalisée soit par administration orale de gélules, soit par intubation par sonde trans-endoscopique entérique, ou naso-jéjunale, une amélioration des symptômes principaux (CARS), des symptômes gastro-intestinaux et des perturbations du sommeil a été obtenue [39].
Ces résultats sont en accord avec ceux d’une autre étude antérieure qui a montré que l’amélioration observée dans les 18 semaines suivant le traitement autant sur les symptômes intestinaux que sur les symptômes principaux de l’autisme est encore présente lorsque les enfants sont examinés 2 ans après cette étude clinique, montrant que les effets de la thérapie par transfert du microbiote intestinal ont un impact à long-terme [40]. Les changements du microbiote intestinal persistent à deux ans, avec une diversité générale et des abondances relatives de Bifidobacteria et Prevotella. Ces observations démontrent qu’une telle intervention par transfert intensif du microbiote est une thérapie prometteuse for traiter les enfants avec TSA présentant des problèmes intestinaux.
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