Un peu abasourdi, sonné, et à la fois, pas vraiment surpris. On savait que la chose arriverait incessamment, le report des dates de Paris ne laissait personne dupe. Et puis c’est arrivé, Alain Bashung est mort samedi 14 mars dans l’après-midi. L’idée d’écrire quelque chose sur le sujet ne m’est venu que trois jours après, quand je me suis rappelé que j’animais ce site. Entre temps tout avait été écrit sur le sujet, tous les hommages aient été rendus, des plus sincères aux plus institutionnels, des plus poignants au plus froids, des plus hypocrites aux plus discret. Que dire de plus… Il m’aura fallut 10 jours.
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Je n’ai pas grand chose à en dire en effet à moins de parler de mon album de Bashung, Fantaisie Militaire. L’idée n’est nullement de dire qu’il s’agit de son meilleur disque, mais juste de dire qu’à mon avis, chaque génération a son album de Bashung, j’ai lu Miossec citer Play Blessures , je ne doute pas que pour des plus jeunes que lui, et des plus vieux que moi, Chatterton puisse être la pierre angulaire de son œuvre. Pour moi, et si j’osais, je dirais pour nous, l’album de Bashung est Fantaisie Militaire.
Parce qu’il faut bien comprendre une chose ; Bashung, comme Gainsbourg ou Bowie, n’invente rien. Il se contente de prendre ce qui ce fait à un moment donné, de le comprendre mieux que personne, et d’en faire le meilleur. D’ailleurs, le plus génial dans tout ça, c’est que Bashung ne fait pas. Il commande, et comme l’écrit Sylvain Bourmeau, il rends ensuite sur disque la copie corrigée et annotée. Pourtant, quoi qu’il n’ait pas composé, un morceau de Bashung est reconnaissable entre mille. Et ce avant même qu’il ait commencé à chanté.
Chaque disque de Bashung est donc le témoignage d’une période, il en porte les défauts, et en sublime les qualités. Fantaisie Militaire est sorti en 1997. La même année que OK Computer de Radiohead, et que Mezzanine de Massive Attack (et également Earthling de David Bowie). Ce n’est pas anodin. Cette année là, les machines ont atteint la maturité nécessaire pour s’assoir à la même tables que les guitares, lesquelles avaient ravalées leur fiertés devant l’incroyable explosion des champs du possible qu’offraient les ordinateurs. Un terme un peu fourre-tout trainait depuis quelques années. Quelques groupes, notamment à Bristol rendait l’électro digeste pour les indie-rockeurs. On appelait ça Trip-Hop. Tout ça semblait anodin et pourtant, en 1997, dans cette partouze, le rock a dépassé une ligne, élaboré un nouveau paradigme.
Fantaisie Militaire est l’un des seuls disque français à témoigner de cette étape (Noir Desir mettra 4 ans à comprendre). Du fait certainement de la participation de Rodolphe Burger, dont le travail dans ce sens trouve enfin des débouchés. Mais d’un autre coté, la finesse Bashung, perchée sur l’écriture de Jean Fauque, font de ce disque largement plus qu’une butte témoin. Des sombres balades purement Bashunguiennes comme La nuit je mens aux psychédélisme minimaliste de 2043, Bashung est surtout, et toujours, ce poète de l’errance, ce troubadour désespéré des highways désertiques. Malaxe fait plonger dans ce tourbillon crasseux aux guitares vibrantes, ici renforcées par des choses synthétiques plus glauques qui explosent sur Soldat sans joie. Et puis le chef d’œuvre : Samuel Hall, l’expression sublime du mépris de soi-même. Et dans tout ça, désolé de le voir partout, mais il y a Jeffrey Lee Pierce. Je m’appelle Samuel Hall, je vous déteste tous... est justement un titre de Rodolphe Burger, de son propre aveux écrit pour Kat Onoma, et gardé sous le coude. Peut-être n’était-ce pas conscient, mais ça parait de loin une évidence. Ce qu’a tenté de construire Kat Onoma pendant des années, prisonnier d’une posture arty underground, Bashung le réalise avec Fantaisie Militaire.
Et puis une fois de plus, Bashung a choisi le chemin le plus aride. L’imprudence, qui fait suite à Fantaisie en 2003 plonge dans une noirceur sans limites. Peut-être le disque d’une génération coincée entre le dancehall et le rock festif (beurk) qui a besoin de profondeur. Et puis Bleu Pétrole, le retour au dépouillement, la référence à Manset, et l’appel à Gaetan Roussel (qui ne devrait plus qu’écrire pour les autres je pense…). Le disque d’une génération de crise. Curieusement, Bleu Pétrole m’évoque surtout Chatterton. Sorti en 1993. L’année record du chômage en France. Comme si quand tout s’effondre, on éprouvait le besoin de revenir aux basiques : guitares acoustiques, mélodies évidentes.
Mais malheureusement, Bleu Pétrole restera aussi le disque de la maladie, de la mort. Et de l’écœurement du clip de Sur un Trapèze matraqué 30 fois par jours sur Virgin 17 et les autres. Comme des vautours. Comme des légos avec des dents.