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Billet de blog 15 novembre 2012

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Daido Moriyama, miroir de la mémoire

" La mémoire ne filme pas, la mémoire photographie. "Milan Kundera Daido Moriyama est un artiste japonais dont le travail s'impose avec force mais discrétion depuis presque un demi siècle. D'abord versé dans la peinture, il se choisit comme photographe à l'âge de 21 ans.

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" La mémoire ne filme pas, la mémoire photographie. "

Milan Kundera

Daido Moriyama est un artiste japonais dont le travail s'impose avec force mais discrétion depuis presque un demi siècle. D'abord versé dans la peinture, il se choisit comme photographe à l'âge de 21 ans.

Cycle Daido Moriyama

du 13/09/12 au 12/01/12

à la Galerie Polka

12, rue Saint Gilles

75003 PARIS

Pour ne plus jamais quitter cette ambition, laquelle l'amena à dépeindre plusieurs décennies durant les balbutiements d'une archipel que le 20e siècle a jeté dans des contradictions dont il peine à s'extraire : empire militaire livré depuis le 16e siècle (notamment du fait des occupations successives) dans des guerres ou rivalités ouvertes ou tacites, miracle économique avorté, déclin démographique, spectres bien vivants d'Hiroshima et Nagasaki, "camisole" monarchique qui pèse sur le modèle politique aussi bien que les comportements...

C'est cette terre de paradoxes, confinée dans des rites insondables et des moeurs bien ancrées, dont Moriyama se fait le discret mais passionnant conteur.

La galerie Polka s'est lancée dans une entreprise ambitieuse qui vise à restituer, à travers 3 moments à la fois distincts et cohérents, les grandes périodes et les lieux emblématiques qui ont jalonné le parcours artistique du japonais certes pris dans les réalités particulières de son pays et son époque mais résolument ouvert sur le Monde : il est ainsi partie prenante des séismes culturels (sa curiosité s'est d'ailleurs forgée au sein de différents collectifs ou magazines avant gardistes dont l'agence Vivo ou le groupe « Provoke ») qui le traversent.

La conception méthodique de la mise en valeur et « en récit » des séries discontinues ici évoquées, donne à voir l'exposition peut-être la plus réussie abritée dans ce lieu parisien.

Dans un premier temps, le cycle « Hokkaido Northern » se veut une entrée en matière à la fois dense et caractéristique du procédé photographique de Moriyama. Que son objectif se fixe à Hokkaido, Shinjuku, Osaka ou Tokyo... il livre des clichés qui interpellent autant par leur pouvoir symbolique, la puissance du grain et des contrastes que l'attractivité de cadrages dynamiques, souvent informels.

Il y a comme un savant mélange de spleen et de contemplation onirique dans ce travail.

Car qu'il s'agisse de chiens errants, de rues hantées par l'enfance, la folie ou la misère, de peluches qui ironisent derrière la fenêtre d'un particulier, de passagers abattus ou songeurs dans ces transports qui rythment et ordonnent le quotidien, d'affiches usées par le temps, de paysages qui hésitent entre les phares de la ville et une empreinte rurale encore bien visible, une solitude vertigineuse... Moriyama livre chaque photographie sous la forme d'un poste d'observation de sa mémoire et de ses sinuosités.

Mais cette confusion, loin de nous rebuter, nous plonge dans une traversée jamais totalement délibérée au coeur de la fragilité des souvenirs, des ressorts de l'âme et d'une histoire personnelle éclatée, mouvante. Tous ces éléments participant à leur différents niveaux d'influence ou de contrainte à l'acte photographique.

Les effets de surexposition, la prégnance du noir et blanc dans ses errances et le choix décomplexé des flous qu'il s'autorise ici et là participent sans équivoque à cette impression.

Nous ne résistons pas à évoquer en guise d'analogie la citation de John Stuart Mill qui considérait avec une lucidité où une acuité très prématurées que « la photographie est une brève complicité entre le prévoyance et le hasard », tant cette formule prend racine et acte dans les présents travaux. 

Cette dextérité relâchée qui fait entrer l'inconscient et l'accident dans le projet même de son oeuvre tout en refusant la bien vaine ou réductrice recherche de l'excellence technique, nous la retrouvons toute entière dans le cycle « Paris » (à paraître mi décembre chez Poursuite "Daido Moriyama, Paris") qui sera présenté du 10 au 22 novembre prochain.

Vous aurez alors l'occasion de découvrir des clichés inédits, lesquels, de la rue Mouffetard aux quais de Seine en passant par la rue du Cherche Midi ou l'édification naissante du centre Pompidou, se jouent des références artistiques occidentales modernes. Petits commerces déserts, rues encombrées, urbanisme triomphant, mendiant égaré dans la frénésie et l'indifférence d'une ville monde... l'ombre d'Atget et Doisneau n'est effectivement jamais loin.

Vous appréciez à sa juste mesure la confidentialité et la teneur de tirages que la galerie Polka a pris un soin tout spécial de porter à votre connaissance, offrant à autant d'intéressé(e)s la primeur d'un Moriyama méconnu voire ignoré.

Pour finir et commitamment à sa série parisienne, vous pourrez découvrir dès courant novembre (dernier cycle qui se tiendra du 10 novembre au 12 janvier) le cycle« Sérigraphies » de cet artiste qui, dans les traces d'Andy Warhol, s'est passionné pour cette technique artisanale et plus monumentale qui n'est qu'une déclinaison et un prolongement possibles de la photographie. Là encore vous aurez le privilège d'apprécier vingt sérigraphies sur toile encore jamais présentées.

Nicolas Dutent

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